mercredi 27 mars 2013

Torso : coupes claires à Cleveland


À la croisée des chemins entre roman graphique à la narration originale, thriller sanglant avec serial killer plus vrai que nature et BD historique sur l’Amérique des années 1930, Torso est un bien curieux objet bédéphilique, qui mérite assurément que l’on s’y attache.

© Image Comics

L’intrigue prend place en la noble cité de Cleveland, en 1935, tandis que l’Amérique peine à sortir du marasme économique de la crise de 1929. Eliot Ness, l’incorruptible de Chicago, vient d’être nommé directeur de la sécurité de la ville. Alors qu’il prend ses fonctions, on découvre sur les bords du fleuve Cuyahoga le torse d’un homme, décapité, membres sectionnés avec une précision chirurgicale, et entièrement vidé de son sang. Pas évident d'identifier un corps sans tête ni empreintes digitales... Bientôt, d’autres découvertes macabres mettent les flics de la ville sur les dents et constituent un sérieux défi pour le tombeur d’Al Capone. Un tueur en série, que la presse s’empresse de baptiser « le boucher fou » ou « le tueur aux torses », s’attaque à la masse des déshérités, chassés par la crise, vivant dans les bidonvilles en périphérie de la ville, et dont la disparition ne fera pas trop de vagues. C’est ce que l’on appelle une manière originale de combattre la crise… Kill The Poor suggéraient ironiquement les inénarrables Dead Kennedys.

© Image Comics

S’appuyant sur des faits réels, Brian Michael Bendis, le futur scénariste star de Marvel (Daredevil, Alias, Avengers etc.), offre au lecteur un comic original à l’ambiance particulière. Cette mini-série est publiée en 6 fascicules par Image Comics, entre octobre 1998 et septembre 1999. En France, elle sort en un album aux éditions Semic, en 2002. Bendis y est à la fois scénariste (avec Marc Andreyko) et dessinateur. Sa BD est le fruit de recherches historiques fouillées puisque l’homme travailla pour The Cleveland Plain Dealer, le journal local qui, dans les années 1930, couvrit l’affaire. Bendis utilise abondamment les archives d’époque (coupures de journaux, photographies, rapports etc.) pour broder sur un canevas réel et inventer une fiction entre les lignes de l’Histoire. Sa tâche est facilitée par le fait que l’enquête ne fut, selon la formule consacrée, jamais résolue.

© Image Comics

Le traitement graphique est certes assez singulier, mais il témoigne d'une recherche intéressante. Le dessin, en noir et blanc, schématique, est très statique, avec une large place laissée aux dialogues. Bendis multiplie en effet les cases, parfois répétées à l’identique, les bulles de texte étant la seule indication d’une action. Il va jusqu’à accumuler les phylactères en une véritable guirlande qui traverse la page de part en part ou anime une case. D’autre fois, il n’hésite pas à changer le sens des cases dans une page. Parfois encore, il fait une mise au point ou un zoom sur un détail. Ici, la tête d’un prostitué qui sourit à un client potentiel (évidemment, il s’agit du tueur, ce petit canaillou), bascule petit à petit pour finir tranchée, flottant au fil du fleuve. Ailleurs, l’auteur intègre des photographies d’époque, dessinant dessus ou les utilisant comme décor d’arrière-plan. De larges aplats noirs créent une ambiance oppressante, ma foi fort appropriée pour un roman… noir.

© Image Comics

Historiquement passionnante, formellement étonnante (ou agaçante, c’est selon), cette BD est l’occasion de plonger dans un épisode méconnu de la mythologie américaine du XXe siècle.

© Image Comics

Longue vie au Triangle !

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