mardi 11 juin 2013

The Demon par Jack Kirby : le démon de minuit

Horreur ! Malheur ! Voici que surgit des profondeurs de la nuit Etrigan le Démon. Cette création de Jack Kirby (1917-1994) est un trésor méconnu du comic fantastique, tout droit sorti du cerveau fécond du grand homme et génialement dessiné par ses soins.

N°1, août-septembre 1972
© DC Comics

On ne présente plus Jack « King » Kirby, immensissime créateur de comics américain, auteur prolixe d’une œuvre aux dimensions impressionnantes. Comics de super-héros (lire la chronique de The Fantastic Four n°84-87), de western, de guerre (lire la chronique de The Losers), de science-fiction, sentimentaux… L’homme aura touché à tout avec un brio extraordinaire. Au début des années 1970, Jack Kirby quitte Marvel pour DC Comics. Là, on lui propose de reprendre certaines séries existantes et d’en créer de nouvelles. Carmine Infantino, l’éditeur de DC Comics, lui suggère de bâtir une série fantastique à créature monstrueuse, genre alors en vogue (Werewolf by Night, Tomb of Dracula, Frankenstein's monster...). Aussitôt dit, aussitôt fait, d’un coup de baguette magique, le « King » s’exécute : ce sera The Demon, dont le premier numéro sort en septembre 1972.

N°2, octobre 1972
© DC Comics

La série est un concentré de fantastique gothique convoquant pêle-mêle sorcellerie, adeptes de cultes sataniques, créatures monstrueuses à tentacules, savants fous, golems de pierre, déments hauts en couleurs, enfants sorciers etc. Une fois de plus, Kirby frappe fort. C’est à la fois très cohérent et farouchement délirant. C’est la magie de la « Kirby’s touch » ! L’histoire débute dans Camelot assiégé par les troupes monstrueuses de la sorcière Morgane Le Fey. Voyant la forteresse sur le point de tomber, Merlin l’enchanteur convoque le démon Etrigan pour qu'il l’aide. Alors que le magicien se réfugie dans une dimension parallèle, par une formule magique, il charge Etrigan de le protéger de la convoitise de Morgane et de tout autre malintentionné qui désirerait s’approprier sa puissance. Petite particularité, lorsqu’il n’est pas sous sa forme démoniaque (une gracieuse tête de batracien jaune avec des cornes), Etrigan se présente sous la forme humaine de Jason Blood, un occultiste doté de la vie éternelle. Mi-homme mi-démon, notre (anti)héros aura fort à faire pour lutter contre les forces du mal avides de puissance magique.

N°5, janvier 1973
© DC Comics


Comme souvent chez Jack Kirby, les influences sont multiples et fascinantes et se mêlent aux créations ou aux réinterprétations ébouriffantes. Les numéros 8 à 10 (avril à juillet 1973) mettent aux prises Etrigan/Jason Blood au fantôme des égouts, réinterprétation toute kirbyenne du personnage du fantôme de l’Opéra joué par Lon Chaney dans le film de 1925. Dans plusieurs autres numéros, Kirby fait intervenir Klarion, enfant aussi maléfique que maigrelet, doté de puissants pouvoirs occultes. Ailleurs, le petit parfum d’Europe centrale qui se dégage du sombre Castle Branek, rappelle les origines austro-hongroises de l’auteur. Mais sa création la plus géniale se déploie dans les numéros 11 à 13 (août-octobre 1973) où le démon affronte le terrible baron Von Evilstein (rien que le nom est tout un poème…), un savant fou à monocle qui se livre à d’immondes expériences, aidé de son homme de main fort logiquement nommé Igor. Si le docteur Frankenstein était sûrement dans le rétroviseur de Kirby, il modifie cela avec génie et l’on décèle notamment toute l’influence des films d’épouvante gothique des années 1930-1950. Je te le confesse ami lecteur, je n’y peux rien, ça me fait bicher.

N°8, avril 1973
© DC Comics

Quant au dessin, Kirby en met plein les mirettes au lecteur. Depuis la fin des années 1960, le « King » a atteint la perfection graphique. Son dessin est à la fois puissant, dynamique et tellement pop. Chaque numéro comprend, outre la splash page de début, une double page qui est l’occasion de voir se déployer avec majesté son trait magique. Il est vrai que Kirby est vaillamment secondé par l’excellent encreur Mike Royer, qui encre ses dessins comme un dieu.

N°9, juin 1973
© DC Comics

Entre 1972 et 1974, The Demon dure 16 numéros, tous entièrement dessinés et scénarisés par Kirby. L’amoureux de culture pop sera émerveillé. L’amateur de Kirby montera, lui, directement au septième ciel dans un crépitement d’électricité statique.

Longue vie au Triangle !