mercredi 20 mars 2013

Blast : l’irremplaçable expérience de l’explosion de la tête


Blast : n. m., mot angl. : phénomène qui explique l’ensemble des lésions anatomiques et des syndromes cliniques présentés par un organisme vivant exposé à une modification brutale du niveau de pression consécutive à une explosion. C’est en substance l’effet que produit la lecture de la BD de Manu Larcenet sur l’organisme. Lire Blast, c’est s’exposer à une onde de choc qui secoue le bédéphile, le remue au plus profond, et ce pour longtemps. Kaboom !

© Dargaud

Le personnage principal de ce roman graphique est l’impressionnant Polza (pour POmni Leninskie ZAvety, « souviens-toi des préceptes de Lénine », le genre de prénom qui connote…). Polza est tout simplement énorme, une carcasse phénoménale d’un bon quintal de barbaque et de graisse. Lorsque le récit commence, il est en garde à vue, pour « ce qu’il a fait à Carole », une affaire dont les détails nous sont révélés par bribes, au fur et à mesure de la narration, par flash-back lors de ses entretiens avec les deux inspecteurs qui le cuisinent. L’enquête dévoile l’histoire de ce clochard philosophe et névrosé, moderne Robinson échoué sur un îlot de solitude, perdu au milieu de la foule.

© Dargaud

Entre Céline pour la description de l’humaine misère et Harry Crews pour l’univers des freaks, Manu Larcenet nous plonge dans le monde des paumés, des punks à chiens, des SDF, des clochards, des marginaux, des démolis par la vie, cour des miracles aux marges de la société.
Le personnage principal est à la fois insupportable, voire écœurant, inquiétant parfois, et en même temps profondément touchant. Polza est en quête du « blast », sorte d’ivresse métaphysique altérant la perception du monde. Son désir de retrouver l’animalité de l’homme, sa sauvagerie primitive, en phase avec la nature et loin de la civilisation, résonne étonnamment. Quant au désespoir qui émane de Polza, il est proprement bouleversant. Comment ne pas éprouver de la pitié pour un homme capable de se lacérer le ventre à coups de cutter ?
Dure, âpre, cette BD est parfois éprouvante. Il arrive que les frères humains se montrent abominables : une rencontre avec des inconnus de passage peut s’achever par un viol collectif avec tabassage en règle, assorti d’actes de barbarie. « L’homme est un loup pour l’homme », écrivait le philosophe romain sur son cartable US quand il était petit…

© Dargaud

Visuellement, Blast constitue un second choc. Les personnages de Manu Larcenet font penser aux caricatures de Daumier, avec des trognes marquées, quasi animales. L’encrage appuyé rend toute la noirceur de l’épopée de Polza, véritable voyage au bout de la nuit. De temps à autre, des touches de couleur illuminent les planches, notamment pour les expériences de « blast » de Polza, retranscrites de façon pour le moins originale par des dessins d’enfants. L’ensemble est tout simplement magnifique.

Cette BD magistrale se déploie sur 3 tomes : Grasse carcasse (2009), L’Apocalypse selon saint Jacky (2011) et La Tête la première (2012). Un quatrième est prévu pour clore le récit. Soit 600 pages bien tassées (800 à terme), à haute densité, qui frappent le lecteur de plein fouet, lui déchirent l’amygdale du cerveau et chahutent ses mirettes.

Longue vie au Triangle !

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