dimanche 9 septembre 2012

Fort Wheeling : la symphonie du Nouveau Monde d’Hugo Pratt


Déclarer qu’Hugo Pratt (1927-1995) est une figure marquante de la BD revient à enfoncer avec fracas une porte ouverte. Que ce soit pour son dessin, la poésie de ses histoires, le charme de ses personnages ou son souci du détail historique, tu ne peux nier, ami lecteur, que son œuvre ne laisse pas indifférent. Non, non, n'essaie même pas si tu tiens à ton scalp… Personnellement, je confie une tendresse particulière pour Fort Wheeling, paru en deux tomes entre 1976 et 1981.

 © Casterman, 1976/Hugo Pratt

L’histoire se déroule dans les colonies britanniques d’Amérique, aux confins du fleuve Ohio, à la fin du XVIIIe siècle. Criss Kenton est un jeune homme de 17 ans dont la famille a été massacrée par les Indiens. Forcément, c’est le genre d’événement qui marque ! Il s’engage dans les régiments coloniaux chargées de mener des raids contre les tribus indiennes. Il y fait la connaissance de Patrick Fitzgerald, un jeune aristocrate anglais. Ensemble, ils vont sauver la belle Mohena, jeune femme d’origine hollandaise capturée et élevée par les Indiens. Évidemment, les deux freluquets s’éprennent de la donzelle mais, à l’heure où les colons américains se soulèvent contre l’autorité du roi George III et aspirent à l’indépendance, chacun choisira un camp opposé. Incontestablement, c’est plus dramatique que de choisir entre une table basse Liatorp ou Vittsjö sur le catalogue Ikea…

  © Les Humanoïdes associés, 1981/Hugo Pratt

Comme souvent chez Hugo Pratt, le souffle de l’aventure se mêle au vent de l’Histoire et cela décoiffe. Il aime inscrire les destins individuels dans la marche de l’Histoire. Personnages de fictions et personnages réels se croisent et s’entrecroisent. Ici, un romantisme adolescent illumine les féroces conflits entre Insurgents américains, Redcoats britanniques, Indiens et coureurs des bois tous droits sortis d’un roman de Fenimore Cooper. Pour autant, Pratt ne sombre pas dans le sentimentalisme béat et sirupeux d’une bluette pour midinette. L’Histoire garde ses droits avec son cortège de morts brutales et de destins tragiques. Car oui, tout héros que l’on soit, en 1776, la destinée d’un homme (ou d’une femme) pouvait s’arrêter brutalement sous le tomahawk d’un indien Shawnee avide de scalps, la balle d’un mousquet anglais ou, plus bêtement encore, d’une méchante fièvre contractée au détour d’une rivière.

 © Casterman, 1995/Hugo Pratt

Le dessin en noir et blanc si reconnaissable d'Hugo Pratt se déploie de manière splendide, avec son mélange de maîtrise, de nonchalance, de minimalisme, de finesse et (parfois) d’approximations. Certaines cases en clair-obscur confèrent à la narration un dynamisme à couper le souffle. Les silhouettes et les attitudes de ses personnages sont fantastiques de réalisme et une scène de course-poursuite dans la prairie reste d’anthologie. Tu noteras, aimable lecteur, qu’une intégrale en couleurs est parue en 1995. Certes, cela a déchaîné les passions entre puristes du dessin en noir et blanc de Pratt et amateurs de la colorisation. Je ne rentrerai pas dans ces polémiques bédéphiliques qui ravalent les querelles entre Guelfes et Gibelins au rang de disputes de bac à sable. Personnellement, je reste un inconditionnel du dessin en noir et blanc du Maestro, mais la colorisation (qui n’a pas été faite par Pratt) est très réussie et offre une nouvelle dimension à la lecture. De plus, l’éditeur Casterman, ce petit filou, a eu la riche idée d’agrémenter cette intégrale de quelques magnifiques aquarelles de Pratt qui attestent que celui-ci était aussi un maître de la couleur (en témoigne aussi la très belle exposition parisienne « Le Voyage imaginaire d’Hugo Pratt », organisée en 2011).

Lecteur mon ami, laisse toi emporter par cette magistrale épopée historique et gagne le Nouveau Monde pour assister à la naissance des jeunes États-Unis d’Amérique et cheminer sur le joliment nommé « sentier des amitiés perdues ».

Longue vie au Triangle !

1 commentaire:

  1. et bien toi, ami chroniqueur, tu sais fichtrement donner envie de lire une bd. HP était bien un auteur magistral, et tellement unique en son genre!
    Je cours m'acheter Fort Wheeling...ah, je l'ai déjà ...bon, je relis alors!

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