Alors
que sort de 9e tome de Bouncer,
attardons-nous un peu sur ce western baroque et outrancier qui plonge allègrement
le bédéphile dans les vastes espaces poudroyants du Far-West.
© 2012, Éditions Glénat
Sois
prévenu, ami lecteur, ici point de pistolero
au cœur pur, défenseur de la veuve et de l’orphelin à la Jerry Spring. Bouncer se déroule dans l’Ouest
crasseux, sauvage et féroce, dans lequel les assassins sont légion, les juges
et les shérifs sont corrompus jusqu’à la moelle, les femmes sont des putes, des
garces ou des victimes. L'innocence y est une denrée rare. Scénarisée par le Chilien fou Alejandro Jodorowsky (le scénariste de L’Incal), et dessinée par François
Boucq, cette série tient plus du western crépusculaire agrémenté d’un
soupçon de dinguerie extravagante toute latino-américaine.
© 2013, Éditions Glénat
Les 9 tomes
peuvent se subdiviser en quatre cycles qui narrent les aventures d’un pistolero manchot exerçant la noble
profession de videur de saloon – d’où son surnom : Bouncer. Il faut dire
que notre héros jouit d’un passif familial assez chargé. Fils d’une catin pétroleuse
et fumeuse de cigare, il est affligé de deux frères aussi mauvais que des
teignes. Le premier cycle (tome 1 et 2) évoque la sanglante lutte entre les trois
frères pour mettre la main sur un diamant volé par leur mère et nommé (sans
rire) l’œil de Caïn. C’est d’ailleurs au cours de ce que nous appellerons
pudiquement une querelle familiale que le Bouncer perd son bras. Le cycle suivant
(tomes 3 à 5) évoque une sombre histoire de vengeance. Le troisième (tomes 6 et
7) met le Bouncer aux prises avec une redoutable femme fatale qui tente
d’accaparer toute les terres de la région. Le dernier cycle, enfin (tomes 8 et
9), envoie le Bouncer dans un terrible pénitencier perdu au milieu du désert
pour traquer un assassin qui n’est autre que le fils du directeur dudit
établissement.
© 2001 Les Humanoïdes associés SA
Cornaquée
par un scénariste aussi démesuré qu’Alejandro
Jodorowsky, la série ne pouvait être qu’excessive. Outre les obsessions
mystiques de son créateur, on y retrouve un certain nombre d’éléments déjà
développées dans son film mythique El
Topo (1970) : quête initiatique, culte de la difformité, violence
outrée… La galerie de monstres que l’on croise est proprement hallucinante :
des soudards sudistes déclamant de la poésie entre deux massacres, un ogre cannibale,
un tueur psychopathe arborant un fer de hache planté dans le crâne et affublé d’une
chiée de gamins aussi meurtriers qu’une Gatling, des massacreurs d’Indiens, des
lyncheurs, des violeurs etc. Ajoutons des freaks
en pagaille : borgnes, bossus, hermaphrodites, nains et… un héros manchot.
Nous avons là une vision de la Conquête de l’Ouest pour le moins singulière et
éloignée des canons classiques du western. John Wayne doit s’en retourner dans
sa tombe.
© 2002 Les Humanoïdes associés SA
Tel un
Charles Quint du Neuvième Art, notre Jodo de scénariste semble avoir adopté la devise « Plus oultre » pour
écrire ses scénarios. La tragédie shakespearienne percute le western. Mais pour
autant, la part d’excès de Bouncer
reste contenue et cette série conserve une solide cohérence. Certes, certains
rebondissements du scénario sont parfois un peu grossiers ou faciles, mais,
avec un soupçon de plaisir coupable, le bédéphile ne demande qu’à se laisser
griser par le souffle de l’aventure.
© 2005 Les Humanoïdes associés SAS
Il faut
avouer que le dessin de François Boucq
est saisissant. Manifestement, l’artiste prend plaisir à dessiner les vastes
étendues d’un Far-West de carte
postale où l’on passe de manière un peu irréelle des étendues désertiques de l’Arizona
aux forêts enneigées du Wyoming. Certaines cases sont de véritables écrans en
Cinémascope, s’étendant sur toute la largeur de la page. Expressifs, les personnages de Boucq sont cependant toujours à deux doigts de la caricature. Entre
Brueghel et Daumier, ils sont animés d’une vie extraordinaire. Magie du Neuvième Art !
© 2006 Les Humanoïdes associés SAS
Western
foutraque, excessif et exalté, Bouncer,
malgré ses imperfections, est une série diablement attachante.
Longue
vie au Triangle !