« Peut-on
rire de tout ? Oui mais pas avec n’importe qui ? », selon la
formule du regretté Desproges. Avec De Gaulle à la plage, Jean-Yves Ferri s’attaque à un monument
historique national, à la figure du Commandeur qui déploie son ombre
gigantesque sur l’histoire de la France au XXe siècle, au double-mètre étalon
de la politique française : le général de Gaulle. Iconoclaste et
réjouissante, cette BD est un petit chef d’œuvre d’humour politique. Eh oui,
ami lecteur, le gros mot est lâché.
© Dargaud 2007
Été
1956, alors qu’il est en pleine « traversée du désert », de Gaulle
décide que les Français ne le méritent pas et se retire sur les plages du
« réduit breton » pour profiter de vacances bien mérités. Accompagné
de son fidèle aide de camp, le capitaine Lebornec, de son épouse « tante
Yvonne », de Philippe, son benêt de fils, et de son chien Wehrmacht (qui
n’est autre que le chiot de Blondi, la chienne d’Hitler), le général promène sa
grande carcasse sur les plages bretonnes. Sur ce pitch digne de la famille
Fenouillard, Ferri brode un album drolatique et facétieux. Découpant son album
en strips d’une demi-page, Ferri s’en donne à cœur joie pour
croquer le grand homme, ses rêves de grandeurs et ses envolées lyrico-exaltées,
le confrontant à la triviale banalité des congés payés. Découvrant l’usage des tongs
« prises sur l’ennemi Viêt », émoustillé par les pin-up en maillot de
bain une pièce, agacé par son vieux comparse Winston Churchill, surveillé par
les sous-marins du SDECE et par madame son épouse, de Gaulle, contre vents et
marées, garde le verbe haut et fait front avec la constance qu’on lui connaît.
© Dargaud 2012
L’édition spéciale 2012 est enrichie d’un supplément : de Gaulle en mai.
Au-delà
des gags savoureux et gentiment irrespectueux, Ferri réalise le tour de force de croquer le général et sa
silhouette si frappante comme le meilleur des caricaturistes politiques. En
quelques coups de crayons, il le montre chaussé de ses lunettes pour établir un
plan de baignade stratégique, ici levant les bras dans ce geste si
caractéristique qui le rendit célèbre, de la place de la République au balcon
du gouvernement général d’Alger, là levant un doigt impérieux pour prendre
l’Histoire à témoin. Le dessin insiste sur sa taille (les couvertures le font
sortir du cadre), son ventre rebondi, sa silhouette dégingandée de grand
maigre. La colorisation, dont on voit la trame, rappelle l’esprit des albums pour
la jeunesse des années 1950, dans la lignée des Martine à la ferme et autres Babar
à New York.
Moqueur
et ironique, l’album réussit toutefois l’exploit de conserver une certaine
tendresse pour le grand Charles. Serait-ce l’ultime tome de la geste
gaullienne ? Par l’écu de Clovis, l’Histoire est en marche !
Longue
vie au Triangle !