mardi 5 mars 2013

Batman, Arkham Asylum : éloge de la folie


D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours apprécié le personnage de Batman. Son côté sombre, un peu inquiétant, ainsi que la galerie de personnages surréalistes et vaguement angoissants qu’il combat me fascinent depuis que je suis môme. De là à dire que j’étais un enfant tourmenté… Quoi qu’il en soit, au début des années 1990, alors que la figure super-héroïque était profondément renouvelée par de nouveaux auteurs, la lecture d’Arkham Asylum, A Serious House on Serious Earth m’a fait l’effet d’une lobotomie transorbitale au pic à glace administrée par le bon Dr Freeman.

© DC Comics, 2005
Couverture de la réédition pour les 15 ans de l'album.

Batman, le justicier masqué de Gotham City, est une fois de plus appelé à la rescousse. Les fous ont pris le contrôle de l’asile Elisabeth Arkham pour criminels malades mentaux. C’est dans ce bâtiment que l’on enferme la fine fleur des psychopathes criminels qu’affronte habituellement notre héros : le Joker, Killer Croc, l’Épouvantail, Harvey « Two-Face » Dent, le Chapelier fou, Clayface etc. Menaçant le personnel retenu en otage d’énucléation et autres effroyableries, les détenus exigent que Batman se livre à eux. Pour notre héros masqué, lui-même passablement ébranlé par le trauma originel que constitue la mort de ses parents, un inquiétant jeu du chat et de la souris s’organise dans les tréfonds de la sombre bâtisse.
Le premier coup de génie de cette BD est de présenter de manière fort rationnelle tous ces personnages hauts en couleurs. Fini les pittoresques et un peu ridicules méchants excentriques ! Les super-vilains sont en fait des fous, dangereux certes, mais qu’il convient de soigner. Ou du moins d’essayer… Tout le talent des auteurs est d’avoir rendu les cinglés vraiment cinglés et carrément effrayants.
Le second coup de maître est d’avoir fait tourner l’album, moins autour de la figure classique du super-héros Batman, que du sinistre asile. Car l’asile d’Arkham, ce bâtiment, au nom tout lovecraftien, à mi-chemin entre l’hôtel Overlook et la maison de Psychose, recèle de biens noirs secrets. Et quelle belle métaphore de l'exploration psychanalytique que l'errance dans un antique manoir aux multiples passages dérobés et pièces cachées... 

© DC Comics, 1990

Sorti en 1989 chez DC Comics, Arkham Asylum est scénarisé par Grant Morrison et dessiné par Dave McKean. En France, l'album sort sous le titre Les Fous d'Arkham ou L'Asile d'Arkham, selon les éditions. Ce one shot est alors emblématique de l’évolution du comic américain. Puisant dans son riche patrimoine, de jeunes auteurs peuvent désormais proposer des sujets plus matures et des traitements graphiques originaux. Graphiquement justement, la BD est un électrochoc visuel. McKean utilise des techniques variées, parfois sur une même planche : dessin à la mine graphite, dessin en couleur, peinture, collages, photo etc. Les cadrages sont complètement explosés dans la page. Certaines cases sont agencées sur des fonds de matières. L’ensemble donne l’impression d’un pêle-mêle baroque aux tonalités macabres. Autant dire que cela colle assez parfaitement avec l’atmosphère d’une maison de fous et invite le lecteur à un voyage dans les abîmes de la folie…

Sans ambages, ami lecteur, cet album est pour le moins singulier. Si tu aimes les histoires de super-héros droits dans leurs bottes mais cachant une fêlure secrète, tu aimeras certainement. Si tu aimes les histoires gothiques et oppressantes, tu aimeras sûrement. Si tu aimes les œuvres graphiques riches et audacieuses, tu aimeras forcément. Si tu aimes les histoires de petits lutins bleus qui gambadent dans de vertes prairies… heu… il est possible que tu n’aimes pas.

Longue vie au Triangle !

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