dimanche 23 septembre 2012

Tarzan par Joe Kubert : "Into the Wild"


Embarquons pour un voyage dans les jungles obscures et moites, mystérieuses et impénétrables de l’Afrique. Assez rapidement, l’imagination peuple cette Afrique mythique du personnage de Tarzan, figure éminente de l’imagerie populaire, ayant durablement marqué la littérature (mais populaire, hein, celle qui tache un peu et que l’on ne compile pas dans la Bibliothèque de la Pléiade), le cinéma et la bande dessinée. Né en 1912, sous la plume d’Edgar Rice Burroughs, Tarzan a tout juste un siècle. Il se révèle être une création en or puisque Burroughs est un des premiers auteurs à fonder une société commerciale à son nom qui exploite le personnage de Tarzan sous forme de licences. Très rapidement, la BD s’empare donc du personnage.

 © DC Comics/Edgar Rice Burroughs Inc.

Dès les années 1930, Burne Hogarth (1911-1996) dessine le personnage avec un brio et une maestria rare. Maître de l’anatomie, son Tarzan tout en muscles semble directement sorti d’une peinture de Michel Ange. On remarquera, non sans une certaine perfidie (voire jalousie de dessinateur raté), que, pour rendre de belles planches anatomiques, l’artiste n’hésite pas à dessiner notre héros dans des positions qui n’ont rien à envier à une séance de bondage sado-masochiste. Les histoires y sont extraordinaires puisque, outre la faune féroces et d’exotiques tribus africaines, Tarzan croise sans sourciller au cœur de l’Afrique des Amazones, des Carthaginois, des Chinois, des Vikings, des Atlantes et j’en passe. La plupart gouvernés par des reines forcément bombasses et femmes fatales tout à la fois, cruelles, si cruelles, mais secrètement amoureuses de Tarzan, dans une sorte de rapport amour-haine qui ouvre d’intéressantes perspectives à nos amis psychanalystes. Parmi les autres artistes remarquables ayant œuvré sur Tarzan (si je puis m’exprimer ainsi…), on notera Hal Foster (1892-1982, dessinateur de Prince Vaillant et, chronologiquement, le premier dessinateur de Tarzan), John Buscema (1927-2002, le génial dessinateur de Savage Sword of Conan) et Russ Manning (que j’ai déjà évoqué : lire la chronique de Tarzan et l'île hors du temps).

 © DC Comics/Edgar Rice Burroughs Inc.

Mais l’artiste qui nous intéresse aujourd’hui est le regretté Joe Kubert (1926-2012), disparu le mois dernier. De 1972 à 1976, il dessine, scénarise et édite les aventures de Tarzan dans le comic mensuel de DC comics. Le trait de Joe Kubert est dur, sec, anguleux parfois. Les yeux du seigneur de la jungle sont charbonneux, lui donnant un air farouche. Selon moi, sa vision de Tarzan est une des plus justes car il traduit la part de sauvagerie du personnage. Tu conviendras avec moi, ami lecteur, que pour tuer un crocodile ou un lion à mains nues, il doit falloir en vouloir sacrément. Les animaux sauvages y sont d’ailleurs rendus avec une puissance impressionnante (les planches dans lesquelles Tarzan combat des singes en furie ôtent toute envie d’aller jouer avec les gorilles dans la brume !).

 © DC Comics/Edgar Rice Burroughs Inc.

En partie inspirés des histoires d’Edgar Rice Burroughs, les scénarios sont, il faut bien l’avouer, un peu faiblards. Mais il se dégage de l’ensemble un charme extraordinaire, complètement suranné et en même temps modernisé par le dessin de Kubert. Dans cette Afrique entièrement fantasmée et très improbable, sans véritables repère géographique (on évoque Alger et Cape Town, ce qui laisse l’ensemble du continent entre ces deux point) ni chronologique (grosso modo les années 1920-1930), parcourue par des chercheurs de trésor, des potentats locaux qui n’ont rien à envier au fantasque Idi Amin Dada ou de richissimes chasseurs de fauves, tout est possible, même l’impossible. Bondissant d’aventure en aventure, Tarzan semble à peine étonné par les cités perdues et autres fontaines magiques dont le continent noir semble regorger. Dans un épisode de février 1973 intitulé The Black Queen, Tarzan croise la route d’une sublime princesse africaine aux yeux verts et à la coupe afro audacieuse, qui semble plutôt sortir d’une folle nuit au Studio 54. Forcément, la despotique souveraine ne peut s’empêcher de jeter notre héros dans une arène monumentale pour qu’il lutte contre un lion géant (et noir). Voilà ce qui arrive quand on aime les films de gladiateurs et que l’on règne sans partage !

 © DC Comics/Edgar Rice Burroughs Inc.

La figure de Tarzan est singulière car, après avoir fait rêver des générations entières de bédéphiles avides d’aventures en CinemaScope, il est aujourd’hui un peu abandonné, vestige encombrant d’un exotisme qui ne titille plus l'imagination. Faut-il y voir aussi quelques séquelles d’une mauvaise conscience liée au passé colonial ? En matière de BD d’aventure, l’époque est aux foutriquets bling-bling et un rien vulgaires qui, tel Largo Winch, parcourent le vaste monde en A380 et cassent des voitures de sport avec désinvolture. Eh bien moi, ami lecteur, je préfère Tarzan, qu’on se le dise.

 © DC Comics/Edgar Rice Burroughs Inc.

Peut-être qu’un beau jour, séduit par la richesse de ce personnage, un jeune auteur nous livrera sa version modernisée du seigneur de la jungle. Vivement Tarzan contre les milices génocidaires du Nord Kivu ou Tarzan et les mines de coltan de la World Company Inc. En attendant, ami lecteur, il est bon de se replonger dans ces pages au charme kitsch et désuet, sublimes, forcément sublimes.

Longue vie au Triangle !

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