lundi 22 octobre 2012

Notre Mère la guerre : requiem pour un massacre


Résonnez clairons dans le petit matin blême et froid, sonnez la fin d’une belle série avec la sortie ce mois-ci du quatrième et dernier tome de la série Notre Mère la guerre aux éditions Futuropolis. Cette percutante série de Maël (dessin) et Kris (scénario) mélange avec brio intrigue policière et récit de guerre tout en livrant une saisissante vision de la Grande Guerre.

© Futuropolis, 2011

Début 1915, alors que l’on s’étripe allègrement depuis plusieurs mois dans ce premier conflit mondial qui débute, le lieutenant de gendarmerie Roland Vialatte est détaché sur le front de Champagne. Le brillant enquêteur doit éclaircir une bien sombre affaire de meurtres de femmes à proximité du front. Avec la promptitude et l’efficacité qu’on lui connaît, l’État-Major a bien tenté de régler la question en fusillant illico presto un pauvre bougre de bidasse qui avait eu la mauvaise idée de menacer une serveuse lors d’une permission trop alcoolisée. Mais voilà, le troufion proprement passé par les armes, on continue de découvrir de-ci de-là des cadavres de journaliste, d’infirmière ou de fille à soldats. Notre bon lieutenant de gendarmerie va donc devoir enquêter dans la boue des tranchées pour éclaircir cette ténébreuse affaire et s’intéresser de près à un bataillon de jeunes repris de justice généreusement amnistiés par l’État français contre engagement d’aller casser du boche pour la patrie.

© Futuropolis, 2009

Je dois avouer, ami lecteur, que s’attaquer aujourd’hui à une BD sur la guerre de 1914 est assez audacieux. Forcément, le bédéphile averti ne peut s’empêcher de comparer celle-ci avec les travaux magistraux du génial Jacques Tardi (Adieu Brindavoine, Putain de guerre !, C’était la guerre dans les tranchées…). Et avec un mètre-étalon pareil, il vaut mieux envoyer du lourd, comme on dit dans l’artillerie. Or justement, avec panache, nos deux auteurs relèvent le gant et renouvellent la vision graphique du conflit tout en proposant un fil conducteur original. L’idée de cette intrigue policière est bien trouvée et m’a rappelé par certains aspects le film La Nuit des généraux d’Anatole Litvak (1967). Tandis que la guerre moissonne les vies de manière industrielle par dizaine de milliers chaque jour, élucider une affaire de meurtres presque « artisanaux » a quelque chose d’un peu surréaliste et vertigineux. De plus, le scénario de Kris est vraiment bien écrit. Le personnage du gendarme Vialatte, catholique convaincu, lecteur de Péguy et dont les idéaux chevaleresques se brisent contre l’effroyable réalité de cette guerre somme toute assez peu romantique, est particulièrement attachant. Sans manichéisme et avec une grande sensibilité, l’auteur évoque fort justement, me semble-t-il, les sentiments et les réactions des hommes plongés dans une boucherie sans nom : exaltation, lâcheté, colère, abattement, résignation, fureur…

© Futuropolis, 2010

Le dessin et les couleurs de Maël tranchent avec les images tremblotantes en noir et blanc des actualités d’époque, montrant ces malheureux soldats monter au front d’une démarche sautillante un peu grotesque, presque comique. Sa colorisation à l’aquarelle dans les tons marron, beige, ocre, gris traduit parfaitement la vision en couleur d’un paysage sans couleur, fait de boue, de cendres, d’arbres brûlés et déchiquetés, d’acier tordu et de chair broyée. Son dessin est fin, minutieux, presque osseux et m’a un peu fait penser à celui de Hermann (Jeremiah, Les Tours de Bois-Maury…). Très documenté, Maël ne laisse rien au hasard dans sa reconstitution. Bref, c’est du bien bel ouvrage.

© Futuropolis, 2012

Nous tenons là une fort belle série, joliment écrite, finement dessinée, ami lecteur. C’est violent, c’est poignant, mais c’est beau ! Et si, comme moi, tu es sensible à la poésie des ruines, alors n’hésite plus.

Longue vie au Triangle !

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