lundi 15 octobre 2012

Fantastic Four n°84-87 : fulgurants robots, savants nazis et autres génies du mal


Génial dessinateur s’il en est Jack Kirby (1917-1994) est probablement l’une des plus grandes figures de la bande dessinée américaine du XXe siècle. Parmi ses nombreux chefs-d’œuvre, Fantastic Four (Les Quatre Fantastiques) déploie un superbe cortège de menaces cosmiques, de créatures d’outre-espace, de robots titanesques et de monstres chthoniens, le tout agrémenté d’une bonne dose de kitsch coloré propre à faire bicher le bédéphile.

© Marvel

En 1961, Jack Kirby et son comparse le scénariste Stan Lee, créent pour Marvel The Fantastic Four qui évoque les aventures d’un quatuor de super-héros, mélangeant intrigues familialo-sentimentales à l’eau de rose, humour un peu pesant (et oui, les comics visaient un jeune public à la subtilité encore balbutiante !) et science-fiction brut de décoffrage. En tentant de tester un nouveau type de fusée, nos quatre héros ont été irradiés de rayons cosmiques. Leur structure moléculaire modifiée, ils obtiennent des capacités extraordinaires : Red Richards, le génie scientifique du groupe, peut s’étirer comme du caoutchouc ; sa fiancée Susan Storm (rebaptisée Jane en VF, va savoir pourquoi...) peut devenir invisible et créer des champs de force ; l’impétueux Johnny Storm (la Torche), le frère de Susan, peut, lui, s’enflammer, voler et projeter des boules de feu. Enfin le costaud de la bande, Ben Grimm, se voit doté d’une force herculéenne ; seul hic, son apparence physique change pour faire de lui une sorte de golem de moellon, d’où son nom de la Chose. Ce comics relance la mode des super-héros et propulse l’éditeur Marvel dans les sommets. De 1961 à 1970, Kirby assurera sans discontinuer le dessin, soit 102 numéros, et la série durera près de 50 ans.

© Marvel

Personnellement, ami lecteur, telle une petite madeleine proustienne qui enchanta mes mercredi après-midi, je goûte particulièrement la saveur des n°84 à 87, parus de mars à juin 1969 et publiés en français par les mythiques éditions Lug en 1973 sous le titre Les Robots de Fatalis. Selon moi, Kirby est alors au sommet de son art. Cet arc se déroule sur quatre épisodes mensuels, fait assez exceptionnel pour l’époque puisque les histoires se déroulaient le plus souvent sur un ou deux épisodes, entraînant une certaine simplification du scénario. Il met en scène un de ces méchants haut en couleur que j’affectionne : le diabolique docteur Victor von Fatalis (Dr Doom en VO), un génie scientifique doté d’un colossal complexe de supériorité, défiguré après avoir mené une malheureuse expérience occulte (jeu de main, jeu de vilain !) et qui cache ses cicatrices sous une seyante armure médiévale rehaussée d’une cape lui donnant un look gothique du plus bel effet. Quand il ne cherche pas à rayer une ville ou deux de la carte, notre bon docteur règne d’une main de fer sur la Latvérie, dictature d’opérette très Mitteleuropa, située derrière le rideau de fer. Dans cette sorte de Village du Prisonnier aux dimensions d’un État, le maître a droit de vie ou de mort sur ses sujets et décide en vrai tyran de leur bonheur. Aidé de l’obséquieux nazi Hauptmann (il fallait oser l'affubler d'un nom pareil ! Il n’y a pas à dire, en termes de méchant, l’ancien nazi est une valeur sure), le maléfique Fatalis a créé une armée de super-robots capables de lui assurer la maîtrise du monde, et dont il n’hésitera pas à tester les capacités destructrices sur ses propres sujets. Évidemment, les Quatre Fantastiques sont de la partie et vont contrecarrer ses plans.

© Marvel

De par leurs scénarios un peu naïfs, du fait de dialogues un peu lourds, voire ampoulés (mais qui ont en même temps une certaine saveur), les Fantastic Four de l’époque ne sont pas à lire de manière industrielle. En effet, ami lecteur, tu risques de friser l’overdose de « Voici mon hypno-canon à longue portée, dont les rayons balayeront bientôt la planète entière… » et autres « Arrière créatures stupides veules et sans âme ! ». Non, estimé lecteur, il te faut lire ce comic comme on savoure un vieux whisky, en dégustant trois ou quatre épisodes pas plus, pour te délecter du dessin sublimissime et des ces inventions graphiques hallucinantes, voire franchement psychédéliques.
Car ce qui destine Les Quatre Fantastiques à être un véritable monument du Neuvième Art édifié dans le basalte et le granit pour les générations futures c’est le dessin si caractéristique de Jack Kirby, fait de puissance à l’état brut, de personnages aux mentons volontaires, de colosses aux formes carrées et en même temps si théâtralement dynamiques. Et les machines, ah les machines de Kirby ! : des boulons, des tubes, des tuyaux, des plaques, des décorations aussi étranges que superflues. Le moindre pistolet, massif et pesant, semble incroyablement menaçant, permettant d’anéantir sa cible, de l’éparpiller façon puzzle aux quatre coins de la pièce. Parfois, le « King » (c’est le surnom que lui avait donné Stan Lee) réalise des collages à partir de photos sur lesquelles il place ses personnages, sorte de version pop et psychédélique de la Semaine de bonté de Max Ernst. Quant à l’invention des « Kirby krackles » (des taches sphériques noires qui gravitent dans le dessin) pour illustrer l’énergie pure dans ses déflagrations, ses projections ou son crépitement, on confine au génie. De plus, cerise sur le gâteau, la plupart des planches des Quatre Fantastiques dessinées par Kirby ont été encrées par Joe Sinnott, l’encreur star de Marvel, leur donnant ainsi un relief et une profondeur incomparables. Par ailleurs, pour compenser l’impression des comics sur des papiers de mauvaise qualité qui buvaient l’encre, des couleurs particulièrement vives ont été choisies, donnant à l’ensemble une teinte lumineuse aussi flamboyante que celle des enluminures médiévales.

© Marvel

À l’image de ses géants cosmiques, l’ombre tutélaire de Kirby plane sur le Neuvième Art telle une sorte de statue du Commandeur galactique. Il a posé les bases de l’univers graphique Marvel, contribuant à créer les personnages de Hulk, Thor, Captain America, les X-Men et tant d’autres. Artiste protéiforme, il a dessiné des comics de science-fiction et de super-héros, mais aussi des comics sentimentaux (Young romance), de guerre (Sgt. Fury and his Howling Commandos, The Losers : lire la chronique de The Losers), de western (Rawhide Kid) etc. etc. Son influence se fait sentir dans l’art moderne chez de nombreux artistes, de Roy Lichtenstein à Erró. Enfin, bon nombre d’auteurs de BD, tels Arnon ou Franck Miller, semblent ne jamais s’être remis de leur lecture de Kirby et en avoir tiré une féconde source d'inspiration, pour le plus grand plaisir de leurs lecteurs.

© Éditions LUG
La VF, réunissant les 4 épisodes.

Emblématique du travail de Jack Kirby, Les Quatre Fantastiques constituent le point de départ idéal pour un plongeon rafraîchissant dans l’univers cosmique et sidéral du « King of comics ».

Longue vie au Triangle !

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