À la
croisée des chemins entre roman graphique à la narration originale, thriller sanglant avec serial killer plus vrai que nature et BD
historique sur l’Amérique des années 1930, Torso
est un bien curieux objet bédéphilique, qui mérite assurément que l’on s’y
attache.
© Image Comics
L’intrigue
prend place en la noble cité de Cleveland, en 1935, tandis que l’Amérique peine
à sortir du marasme économique de la crise de 1929. Eliot Ness, l’incorruptible
de Chicago, vient d’être nommé directeur de la sécurité de la ville. Alors
qu’il prend ses fonctions, on découvre sur les bords du fleuve Cuyahoga le
torse d’un homme, décapité, membres sectionnés avec une précision chirurgicale, et entièrement vidé de son sang. Pas évident d'identifier un corps sans tête ni empreintes digitales... Bientôt, d’autres découvertes macabres mettent les flics de la
ville sur les dents et constituent un sérieux défi pour le tombeur d’Al Capone.
Un tueur en série, que la presse s’empresse de baptiser « le boucher
fou » ou « le tueur aux torses », s’attaque à la masse des déshérités,
chassés par la crise, vivant dans les bidonvilles en périphérie de la ville, et
dont la disparition ne fera pas trop de vagues. C’est ce que l’on appelle une
manière originale de combattre la crise… Kill
The Poor suggéraient ironiquement les inénarrables Dead Kennedys.
© Image Comics
S’appuyant
sur des faits réels, Brian Michael
Bendis, le futur scénariste star de Marvel
(Daredevil, Alias, Avengers etc.), offre au lecteur un comic original à l’ambiance particulière.
Cette mini-série est publiée en 6 fascicules par Image Comics, entre octobre 1998 et septembre 1999. En France, elle
sort en un album aux éditions Semic,
en 2002. Bendis y est à la fois
scénariste (avec Marc Andreyko) et
dessinateur. Sa BD est le fruit de recherches historiques fouillées puisque l’homme travailla
pour The Cleveland Plain Dealer, le
journal local qui, dans les années 1930, couvrit l’affaire. Bendis utilise abondamment les archives
d’époque (coupures de journaux, photographies, rapports etc.) pour broder sur
un canevas réel et inventer une fiction entre les lignes de l’Histoire. Sa
tâche est facilitée par le fait que l’enquête ne fut, selon la formule
consacrée, jamais résolue.
© Image Comics
Le
traitement graphique est certes assez singulier, mais il témoigne d'une recherche intéressante. Le dessin, en noir et blanc, schématique,
est très statique, avec une large place laissée aux dialogues. Bendis multiplie en effet les cases,
parfois répétées à l’identique, les bulles de texte étant la seule indication
d’une action. Il va jusqu’à accumuler les phylactères en une véritable guirlande qui
traverse la page de part en part ou anime une case. D’autre fois, il n’hésite
pas à changer le sens des cases dans une page. Parfois encore, il fait une mise
au point ou un zoom sur un détail. Ici, la tête d’un prostitué qui sourit à un
client potentiel (évidemment, il s’agit du tueur, ce petit canaillou), bascule petit
à petit pour finir tranchée, flottant au fil du fleuve. Ailleurs, l’auteur
intègre des photographies d’époque, dessinant dessus ou les utilisant comme
décor d’arrière-plan. De larges aplats noirs créent une ambiance oppressante,
ma foi fort appropriée pour un roman… noir.
© Image Comics
Historiquement
passionnante, formellement étonnante (ou agaçante, c’est selon), cette BD est
l’occasion de plonger dans un épisode méconnu de la mythologie américaine du
XXe siècle.
© Image Comics
Longue
vie au Triangle !
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