dimanche 13 septembre 2015

La Cité des chiens : le côté obscur

Divine surprise que cet album de Dark Fantasy, La Cité des chiens, paru chez Akileos au printemps dernier. Scénarisée par Yohan Radomski et magistralement mis en image par le jeune prodige polonais Jakub Rebelka, cette terrible histoire de vengeance comblera les fanatiques de Fantasy médiévale, les amateurs de tragédies shakespeariennes, les esthètes de la BD et les Game-of-Thronesophiles frénétiques.


© Éditions Akileos

Rien de tel qu’un bon méchant pour faire une bonne histoire. En l’occurrence Volas, le seigneur de la cité des chiens, est un cas d'école : meurtres, viols, trahisons, inceste, l’homme ne recule devant rien pour cocher toutes les cases de la To Do List de la parfaite crapule. Ainsi, après avoir étranglé son prédécesseur, égorgé son beau-frère et décapité sa femme, Volas s’unit à sa sœur, lorgnant sur Enora, la fille de celle-ci. Horrifiée, la jeune femme s’enfuit et engage les ruffians de la Confrérie de l’Île des Pendus pour assassiner son oncle et briser son hégémonie sur le monde des cités. Mais pourra-t-elle arrêter celui qui s'est donné à l'Ombre ? Démarrage en trombe que ce premier tome d’une série prévue en deux volumes qui conjugue admirablement légendes fantastiques, imagerie médiévale et noirceur de l’âme humaine.

Le bédéphile éclairé amateur de graphismes soignés s’extasiera de ce conte maléfique superbement illustrée par un jeune artiste polonais qui signe là un coup de maître. Admirablement lisible, le trait de Rebelka rappelle les magnifiques illustrations Art Nouveau d’Aubrey Beardsley (notamment les motifs des vêtements des personnages) ou les dessins chamarrés du grand illustrateur russe Ivan Bilibine, mais dans une version plus sombre il est vrai. Plus proche de nous, son dessin fait parfois penser à Mike Mignola, dans une variante plus assagie toutefois. La colorisation soignée utilise une palette de couleurs originales : vert glauque, gris taupe, violet d’évêque, brun fauve renforçant l’atmosphère ténébreuse de l’histoire.

Splendide et vénéneux, cet album de toute beauté est aussi spectaculaire qu’une charge des hussards ailés de Jean Sobieski sur les pentes du Kahlenberg.

Longue vie au Triangle !

vendredi 4 septembre 2015

Tyler Cross t. 2 Angola : les portes du pénitencier

Back to black ! Tyler Cross, le héros créé par Fabien Nury (scénario) et Brüno (dessin) est de retour pour un nouvel album sis dans ce haut-lieu de l’humanité qu’est le Louisiana State Penitentiary aka la ferme prison d’Angola. Après le Texas, ça va saigner sur les rives boueuses et putrides du Mississippi.

© Dargaud 2015

Fort du succès du premier album Tyler Cross en 2013 (lire la chronique de Tyler Cross), Nury et Brüno nous concoctent un nouveau polar hard boiled âpre et froid comme la mort, digne des thrillers désabusés des années 1950.

Couverture de l'édition spéciale, en noir et blanc,
agrémentée d'une fin alternative non retenue par les auteurs.
© Dargaud 2015

Revoici donc cette crapule impassible de Tyler Cross. Victime d’une méchante entourloupe de la part de son commanditaire lors d’un braquage, il écope de 20 ans au pénitencier d’Angola. Entre les gardiens sadiques, les molosses féroces, les Italiens qui ont mis un contrat sur sa tête et le climat délétère, autant dire que le séjour ne va pas être de tout repos. Une seule solution : se faire la belle, s’esbigner, se carapater, mettre les voiles, prendre la tangente. Mais comment s’évader du pénitencier d’où l’on ne s’évade pas, si ce n’est les pieds devant ? Cela dit, outre les diverses raisons susnommées, lorsque l’on est un homme de principe comme Tyler Cross, la vengeance constitue une excellente motivation…

Le dessin clair et affûté de Brüno est toujours aussi redoutablement efficace. Cadrages panoramiques, gros plans, champs et contrechamps rythment la narration en lui conférant un aspect cinématographique diablement percutant. De plus, la colorisation multiplie les fonds unis qui renforcent puissamment le dessin des personnages. Du grand Neuvième Art !

Un thriller poisseux comme le climat des bayous de Louisiane, à lire impérativement sous peine de finir 6 pieds sous terre.

Longue vie au Triangle !

mardi 25 août 2015

Skraeling t. 3 : Götterdämmerung

Fin de partie dans le sang, la sueur et les larmes pour Skraeling, l’explosive BD du scénariste Thierry Lamy et du dessinateur Damien Venzi chez Ankama. Débutée en 2011, la série s’achève avec la parution du 3e tome. Passée un peu inaperçue dans le véritable tir de barrage d’albums qui saturent les étals des libraires chaque mois, cette sombre série d’anticipation dystopique est pourtant aussi détonante qu'un baril de TNT.

© Ankama Éditions 2015

Le lecteur curieux ne manquera pas de se jeter sur la modeste chronique consacrée par votre serviteur aux deux premiers tomes avec la célérité du Stuka piquant sur une colonne de fantassins évoluant en rase campagne (lire ici la chronique de Skraeling tomes 1 et 2).

Avec ce dernier tome, L’Éveil du loup, nous retrouvons le WeltRaum, grisâtre dictature archétypale des régimes fascistes. Köstler le chien de guerre, l’hilote racialement impur, a gagné par le fer et le sang sa place dans la troupe d’élite du régime. Entre manipulations obscures, révoltes sanglantes et répression féroce, quel destin l’attend ? Sera-t-il broyé par les rouages de l’impitoyable dictature ou au contraire sera-t-il le grain de sable qui paralysera cette implacable machine totalitaire ?

Hyperréaliste, l’univers graphique de Damien Venzi est toujours aussi crépusculaire et oppressant. Ses décors enténébrés empruntant à la fois au Berlin des années de guerre et au combinat sidérurgique offrent une scène parfaite pour le final de l’histoire. Quant au travail effectué pour rendre l’univers totalitaire du WeltRaum, notamment ses affiches de propagande, il est si vraisemblable qu’on pourrait le croire sorti des bureaux de la Propagandastaffel.

Fascinante peinture d’une société totalitaire, Skraeling se révèle une série d’anticipation glaçante et effrayante à souhait. Une série à lire absolument camarades lecteurs et n’oubliez pas : Big Brother vous regarde !

Longue vie au Triangle !