mardi 6 novembre 2012

Le Jeune Albert : petit précis de méchanceté selon Yves Chaland


Quelle belle idée, Godverdomme ! Les Humanoïdes associés rééditent en grand format, dans une version très (très, très) luxueuse les aventures du Jeune Albert d’Yves Chaland (1957-1990). Attention ça est colossal !

© Les Humanoïdes associés, 2012

Le personnage du Jeune Albert animait les pages du journal Métal Hurlant entre 1982 et 1987. Bizarrement, je ne garde le souvenir précis que de sa dernière planche, en 1987, pour l’ultime numéro de la revue. Fin d’une époque ! Souvenirs émus et musique triste de circonstance. Si j’étais officier dans la garde impériale du Tsar, je me tirerais une balle de revolver dans la tempe avec émotion. En 1985 un recueil fut publié par Les Humanoïdes associés, puis réédité sous une nouvelle couverture en 1993.

© Les Humanoïdes associés, 1985

J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pense d’Yves Chaland (lire la chronique de Freddy Lombard). Avec Le Jeune Albert, notre sympathique auteur plonge dans cette Belgique imaginaire figée dans les années 1950, qu’il a recréée de toutes pièces, sous l’influence des auteurs belges. Albert est un gamin des Marolles, quartier populaire de Bruxelles, sorte de Quick ou Flupke trash. Notre manneke parcourt ce Bruxelles disparu, où les gosses jouent dans des rues pavées et des terrains vagues, où les agents de police portent pèlerine noire et casque blanc, où l’on croise des bonne-sœurs en cornette et des prêtres en soutane et où, bientôt, une improbable guerre oppose le Royaume de Belgique à des hordes chinoises dans un terrible conflit qui n’est pas sans rappeler l’invasion mondiale de l’Empire jaune de Basam Damdu dans Le Secret de l’espadon d’Edgar Pierre Jacobs. Avec son humour pince-sans-rire, Chaland reprend les codes des illustrés belges des années 1940-1950, à vocation morale ou empreints de vertu chrétienne, marqués par le scoutisme, pour les subvertir par d’amusants décalages. Car Albert est un affreux gamin, teigneux, manipulateur, vindicatif. Quand il ne cherche pas à noyer ou enterrer vivant ses camarades de jeu pour se distraire, Albert leur assène des sentences philosophiques méprisantes et hautaines. Pourtant Chaland parvient à le rendre par moments sympathique en confrontant son héros à l’impitoyable monde des enfants, univers dans lequel il est souvent bourreau et parfois victime. Cynisme, causticité, méchanceté : Chaland fait feu de tout bois dans ses petites scénettes d’une demi-page. Pour autant, attention ami lecteur, Le Jeune Albert n’est pas une série hilarante qui laisse le lecteur gondolé sur son linoléum ou frappant frénétiquement le plateau de sa table en formica du plat de la main dans un fou rire spasmodique. Bien souvent, le malaise n’est pas loin du sourire et il n’est pas rare de sentir un pincement au cœur en lisant un strip.

© Les Humanoïdes associés, 1993

Coté style, Chaland est à son zénith. Son dessin « ligne claire » éclate dans ces pages, magnifiées par le format impressionnant de l’album, qui permet d’apprécier les multiples détails. Le personnage d’Albert, petit, rond, vêtu de knickers et coiffé d’une simili houppette est tout simplement génial. Véritable icône, il marche directement dans les traces de Tintin ou Spirou pour rejoindre le panthéon des héros de BD. Ma foi, ça est du bel ouvrage. On ne saurait dire mieux.

Longue vie au Triangle !

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