lundi 21 mai 2012

Le Rêve du requin : au coeur des ténèbres

Dans un vibrant hommage à Angela Merkel, j'ai relu récemment  Le Rêve du requin  de l'Allemand, Mathias Schultheiss. Paru chez Glénat, c'est une perle de la BD des années 1980. En 3 tomes (La Fourmillière de Lagos, 1986 ;  Lagos connection, 1988 et La Fiancée de la mort, 1989), il brosse une formidable histoire de pirate moderne.

© Editions Glénat/M. Schultheiss

 Car il s'agit d'une histoire de pirate, ami lecteur. Oui, mais pas de gentilhomme de fortune courant sus aux navires de la Royal Navy ou de marin en rupture de ban traquant le galion espagnol chargé d'or. Non, Le Rêve du requin relate les tribulations de Lambert dans le Lagos des années 1980. Et Lambert est un sacré enfant de putain, un de la  pire espèce, un salopard de première... Le genre à aborder un voilier de plaisance et à liquider tous ses occupants au couteau et à la hache avant de saborder le bâtiment, non sans avoir fait subir un sort pire que la mort à l'ultime (et provisoire) survivante. Bon, je ne dévoile pas grand chose de l'intrigue, c'est la première planche, et elle est du genre dont on se souvient...

Or donc, notre aventurier atterrit on ne sait trop comment à Lagos, Nigeria. Et Lagos, ville déglinguée de 15 millions d'habitants, est un endroit idéal pour notre (anti)héros. Misère, prostitution, violence, corruption, règlements de comptes, arnaques, trafics en tous genres, vaudou et magie noire vont lui permettre de donner toute sa mesure, pour jouer une partie serrée entre pirates sanguinaires, flics âpres au gain, politiciens pourris et services secrets étrangers.

© Editions Glénat/M. Schultheiss

Au delà de la peinture moite et hallucinée de la mégapole nigeriane (manifestement pas sponsorisée par l'Office du tourisme), Schultheiss livre un album marquant, où la violence est reine, véritable coup de poing dans les tripes. Son dessin si particulier, ses silhouettes longilines et ses couleurs cadavériques ne laissent pas indifférent.

Fort prolixe dans les années 1980, Schultheiss a aussi commis le très paranoiaque et schizophrène Théorème de Bell, publié entre 1986 et 1990 par Albin Michel, et un album érotique assez décadent : Sois vicieux (tout un programme !). Un auteur à découvrir ou redécouvrir, ami lecteur.

Longue vie au Triangle !

lundi 14 mai 2012

Blazing Combat : guerre à la guerre

Les éditions Akileos ont eu l'explosive idée de rééditer Blazing Combat, mythique comics dont quatre numéros furent publiés par Warren Publications (l'éditeur du comics d'horreur Creepy) entre 1965 et 1966. Comme le nom de la publication l'indique il s'agit de comics de... guerre. Mais attention, ami lecteur, pas la guerre propre ou la guerre en dentelles, non la vraie guerre, moche et crasseuse, dont peu ressortent indemnes. Et c'est là que le bât blesse. Horrifiés par ces imprimés subversifs qui montraient aux chères petites têtes blondes les américains napalmiser allègrement les rizières vietnamiennes et les héros de la dernière guerre claboter comme des merdes dans leurs chars, l'US Army s'émut et interdit la publication dans les PX de ses bases militaires, l'American Legion - l'association des vétérans - protesta, les distributeurs prirent peur et stoppèrent la commercialisation de la revue. Laquelle finit par mourir de sa belle mort, faute de lecteurs. RIP.


Magnifiés par des couvertures de Frank Frazetta, les quatre titres de la revue sont des pépites. Composées des 6-7 pages, les histoires scénarisées par Archie Goodwin balayent les conflits impliquant les USA : guerre d'indépendance, guerre de Sécession, guerres indiennes, Première et Seconde Guerre mondiale, guerre de Corée, Vietnam... Et ça chie (si vous me passez l'expression) ! Les blessés sont achevés, les vaillants soldats ramassent les dents en or des morts, les civils en prennent pour leur grade (enfin, surtout s'ils sont vietnamiens... No offense), les lâches meurent comme des coyotes à foie jaune qu'ils sont, mais les héros crèvent aussi et assez minablement, il faut bien le dire. Bref, la guerre, "grosse malheur !" comme on dit outre-Rhin.



Parmi la quinzaine de dessinateurs qui oeuvrèrent, on note Wally Wood, Alex Toth ou Gene Colan (le meilleur dessinateur de Daredevil, à mon humble avis). Des pointures du noir et blanc, pas moins.


Quant aux histoires, elles sont des petits bijoux de concision et de noirceur au ton délicieusement moralisateur. Avec Frontline Combat d'EC Comics et les Chroniques de guerre d'Hugo Pratt, elles constituent à mon sens les meilleurs BD de guerre jamais publiées. L'histoire Paysage/Landscape est particulièrement remarquable : un paysan vietnamien voit passer la guerre depuis sa rizière. Sud Vietnamiens, Viêt-cong, Américains se succèdent pour "libérer le village".  Et au final, le malheureux bougre termine au fond de sa rizière. Evidemment, cela fait désordre... Surtout en 1965.



Une réédition formidable pour rendre justice à ces histoires de guerre par trop réalistes.

Longue vie au Triangle !

dimanche 13 mai 2012

Luc Orient (de la Terre) orphelin

Eddy Paape (1920-2012), le dessinateur de Luc Orient, série de SF des années 1960-1970, est mort. Encore un pan d'histoire de l'âge d'or de la BD franco-belge qui disparaît...

Ces albums, ou du moins la première petite douzaine, m'ont fait forte impression en leur temps. Scénarisée par Greg, le père d'Achile Talon, la série  relate les aventures de Luc Orient, scientifique musclé, travaillant pour Eurocristal 1, "le laboratoire scientifique le plus moderne du monde" (ça ne s'invente pas...). Il est accompagné du professeur Kala, scientifique moins musclé mais plus scientifique, de Lora, la bonnasse faire-valoir habituelle, et de Toba, l'indigène de service qui fait franchement tâche en cette époque de décolonisation.

C'est un joyeux mélange d'aventures extra-terrestres à la Flash Gordon matinée de Tarzan (Les Dragons de feu, Le Maître de Terango...), d'intrigues autour d'inquiétantes manipulations scientifiques toutes droit sorties de X-Files (Le 6e continent, Le Cratère aux sortilèges...), de voyages dans le temps et l'espace (La Porte de cristal...).

© Lombard/Paape, Eddy/Greg

Un peu statique, le dessin de Paape est, il faut bien le dire, assez démodé. Mais c'est ce décalage qui crèe paradoxalement un certain charme. Mention spéciale aux décors qui sont franchement extraordinaires de kitsch : les intérieurs sont forcément décorés de moquette au mur, de téléviseurs ovoïdes et de canapés king size aux lignes directement inspirées des bunkers du Mur de l'Atlantique. Et quand on aborde les univers extra-terrestres, l'imagination est carrément au pouvoir : c'est le royaume de la forme courbe, organique, des machines à boules et des boules à machines. Bref, un univers graphique très... riche.

Un titre m'a particulièrement marqué : 24 heures pour la planète Terre, neuvième tome de la série. Le scénario est farouchement classique. Qu'on en juge : un mystérieux Dévastateur mène des actions terroristes de destruction massive pour obtenir la soumission des grandes puissances de la Terre. Mais le misérable ne sait pas qu'il s'adresse à Luc Orient...  Malgré son formatage typique des BD d'aventures franco-belges de l'époque, un certain je-ne-sais-quoi de douce folie se dégage de cet album qui regorge par ailleurs de trouvailles amusantes : mitraillettes à plasma sanguin, extra-terrestre à dégaine de Dürer (voui le peintre !) hippie, pistolets-boules à facettes... 48 pages un peu surannées mais fondamentalement réjouissantes.

Pensée émue pour Eddy Paape, donc.

Longue vie au Triangle !

Préambule

Qu'il  me soit ici permis d'exposer mon modeste projet ô aimable lecteur. Petit, la fée Phylactère a fait tomber une pile d'albums dans mon berceau. Depuis lors, outre une légère fêlure au casque, la BD est une véritable passion. J'entends donc livrer ici une petite chronique totalement subjective d'amours et de dégoûts au gré de mes trouvailles, lectures et relectures.
J'ose espérer, ami lecteur, que ces modestes billets auront l'heur de t'intéresser, de te faire découvrir ou redécouvrir de nouveaux continents.
Longue vie au Triangle !