dimanche 2 septembre 2012

The Amazing Spider-Man n°121-122 : meurtre (mélo)dramatique à Manhattan


Enfant, j’étais émerveillé par l’univers chatoyant des super-héros Marvel. Autant Superman m’a toujours profondément agacé avec son côté jeune homme de bonne famille au sourire Ultra Brite et son accroche-cœur ridicule sur le front, autant The Amazing Spider-Man, The Invincible Iron Man, Daredevil the Man Without Fear, Iron Fist et autres X-Men me paraissaient l’incarnation absolue du cool super-héroïque. Tous les mois, je languissais d’impatience en attendant le nouveau numéro de Strange, revue mythique dans laquelle paraissaient en français les aventures trépidantes de mes héros favoris. Quand soudain, ami lecteur, l’affreuse vérité éclata comme un coup de tonnerre dans un ciel serein : si ces surhommes radioactifs ou mutants, défenseurs de la veuve et de l’orphelin, étaient les modernes (et un peu kitsch) réincarnations d’Heraklès ou de Persée, ils n’en étaient pas moins mortels. Cette brutale nouvelle percuta ma petite existence avec la vélocité de l’Express de 16 h 50 entrant en gare de Quimperlé (2 minutes d’arrêt).

 © Marvel, 1973

En effet, un beau jour de l'an de grâce 1978, alors que j’ouvrais fébrilement mon Strange, les mains tremblantes d’excitation, je découvris horrifié la mort de Gwen Stacy, la fiancée de Spider-Man, alias Peter Parker dans le civil. Non, ce n’était pas possible, pas elle, pas la fiancée du héros, l’image parfaite de l'american way of life, à la blondeur solaire, si sexy dans ses bottes en cuir… Sous l’impulsion du scénariste Gerry Conway, le n°121 d’Amazing Spider-Man (The Night Gwen Stacy Died, paru aux États-Unis en juin 1973) met aux prises le tisseur de toile avec sa Némésis, le Bouffon Vert (Green Goblin en VO). Ce dernier enlève la sémillante Gwen Stacy. Lorsque Spider-Man le retrouve, la belle gît inanimée aux pieds du Bouffon Vert au sommet de l’une des piles du George Washington Bridge. Un combat acharné s’ensuit entre le super-héros et le super-vilain (j’adore cette dénomination), qui finit par précipiter Gwen Stacy dans le vide. Dans un effort désespéré Spider-Man parvient à rattraper la jeune femme à l’aide de sa toile lorsque se fait entendre un « Snap ! » fatidique. Impuissant, Peter Parker ne peut que constater la mort de sa bien-aimée tandis que le Bouffon Vert s’enfuit en ricanant (forcément). En un geste théâtral, le héros lève un poing vengeur vers le ciel en étreignant le corps de sa dulcinée, vouant son éternel ennemi aux gémonies. C’est dramatique, c’est tragique, c’est beau comme l’antique. Était-elle morte avant d’être jetée dans le vide ? Spider-Man lui a-t-il involontairement brisé le cou en tentant de la rattraper ? Ces spéculations ont hanté les cours de récréation pendant longtemps. Quoi qu’il en soit, cet épisode constitua pour moi (et pour de nombreux lecteurs) un véritable traumatisme. Certains historiens des comics ont même évoqué la fin d’une certaine innocence, à l’image de ce que représenta la guerre du Vietnam pour la société américaine. Si les comics publiés par Marvel n’hésitaient pas à évoquer les problèmes de société (corruption, racisme, drogue etc.), la mort d’un protagoniste principal si proche du héros représentait quand même alors un tabou dont il était difficile de s’affranchir. L’effroyable brutalité de cet épisode a notamment contribué à faire prendre conscience à des milliers de gamins de la réalité de la mort. Petit à petit, la figure super-héroïque monolithique se fissurait pour révéler ses failles. Un pas de géant était fait vers des scénarios de comics plus matures.

 © Marvel, 1973

Sur un plan scénaristique, cet épisode fondateur était un coup de maître, permettant d’épaissir la personnalité de Peter Parker. Brisé, pour ne pas dire dépressif, c’est un héros en proie au doute et à la culpabilité, mais aussi animé d'un profond désir de vengeance, qui allait désormais filer entre les buildings de Manhattan. Comment continuer à livrer son combat contre le Mal, s’il n’avait pas été capable de sauver sa chère et tendre ? Quelle vengeance tirer de son éternel ennemi, qui, par ailleurs, est le père de son meilleur ami (c'est cornélien !) ? C’est, à mon sens, là que résidait la force des comics Marvel de l’époque : ancrer leurs personnages dans le réel en en faisant des êtres de chair, de sang et de sentiments, certes dotés de super pouvoirs, mais conservant une part de fragilité humaine afin de les rendre proches du lecteur.

 © Éditions Lug

Au-delà de son sujet marquant, cet épisode d’Amazing Spider-Man et celui qui suivit (n°122 : The Green Goblin’s Last Stand !, paru dans Strange n°104 en août 1978) constituent la quintessence du style Marvel des années 1970. Le dessin de Gil Kane y est tout simplement parfait, d’un classicisme moderne irréprochable, ultra énergique, magnifiquement encré par John Romita. Le dynamisme des plans, et leur découpage est magistral, insufflant une vitalité extraordinaire au récit. Ces épisodes sont incontestablement des joyaux du 9e Art et, plus généralement de la culture populaire, véritables icônes de la mythologie américaine du XXe siècle, à l’égal du King Kong escaladant l’Empire State Building.

 © Éditions Lug
(Pour l'anecdote, c'est dans le n°105 de Strange, soit le mois suivant sa parution, que l'épisode fut illustré en couverture. Tu noteras, ami lecteur, les couvertures redessinées par des illustrateurs français...)

À l’heure où les super-héros connaissent une nouvelle vie à l’écran, n’hésite pas à plonger à la source, estimé lecteur. Je n’ai pas peur d’affirmer, en levant mélodramatiquement le poing vers le ciel, que ces épisodes d'Amazing Spider-Man constituent un chef-d’œuvre indépassable des comics.

Longue vie au Triangle !

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