mardi 18 novembre 2014

Batman, the Cult : Helter Skelter à Gotham City

Avec Batman, the Cult, Bernie Wrightson, le maître du gothique américain, nous présente une version bien à lui du chevalier noir et de ses légendaires fêlures. Entre effondrement psychologique et furie furieuse, pas de répit pour notre héros.

© DC Comics

Paru entre août et novembre 1988, Batman, the Cult est une mini-série autonome de quatre numéros, publiée par DC Comics qui réunit pour l’occasion le scénariste cosmique Jim Starlin et le génial Bernie Wrightson, prince du macabre dessiné et grand-maître de l’horreur en vignettes (lire ici la chronique des histoires de Wrightson dans Eerie et Creepy). La série est traduite en français par Comics USA en 1989 sous le titre mollasson d’Enfer blanc.

© DC Comics

En la tumultueuse ville de Gotham City, protégée par un vengeur masqué et capé que nous ne présenterons plus, un singulier homme d’église, le diacre Blackfire, ouvre un refuge pour les exclus dans le quartier le plus glauque de la ville. Parallèlement, notre croisé du crime enquête sur les meurtres sanglants de criminels qui battent ordinairement le pavé de la grande métropole. Batman découvre peu à peu que Blackfire fomente, depuis les bas-fonds de la ville, un Grand Soir des exclus de tous bords, âmes perdues avides de vengeance, prêts à suivre le premier leader charismatique venu. Surpris, Batman est capturé par l’étrange secte qui se terre dans les égouts de Gotham. Notre héros s’inclinera-t-il devant son gourou ? Et qui est vraiment le diacre Blackfire ? Un être surnaturel ? Un David Koresh apôtre de l’équarrissage pour tous ? Un Jim Jones thuriféraire du suicide collectif ? Un Raël de supermarché ?

© DC Comics

Enchaîné, drogué, torturé, brisé, mais bientôt en proie à une furie vengeresse qu’il a du mal à contrôler, le Batman de Wrightson et Starlin est assez fascinant dans le genre borderline. Évidemment, se confronter à un pseudo Charles Manson et à sa « famille » de dingues prêt à rejouer le massacre de Cielo Drive à l’échelle d’une ville peut laisser quelques traces…

© DC Comics

Graphiquement parlant, le Batman de Wrightson est tout simplement époustouflant. L’artiste dessine sa silhouette effilée et longiligne dans des cases qui ne sont pas sans rappeler les plans du cinéma expressionniste. Travaillant sur le masque noir du héros, il en allonge démesurément les oreilles de chauve-souris pour en donner une version typiquement wrightsonienne, plus inquiétante que familière. Quant à la colorisation des planches, crue et presque criarde, elle présente un indéniable charme désuet. Soooo 80 !

© DC Comics

Incontestablement, the Cult participe à la relecture du personnage de Batman entamée au cours des années 1980 sous la houlette débonnaire de pointures telles que Frank Miller ou Dave McKean (lire ici la chronique de Batman, Arkham Asylum) pour en faire un personnage toujours plus sombre et torturé. Alors, fidèle lecteur, tu sais ce qu’il te reste à faire : enferme-toi dans ta cave avec ton fusil à pompe et cette pile de vieux comics en attendant l’Apocalypse.

Longue vie au Triangle !

mardi 11 novembre 2014

Little Tulip : épaule tatoo

Retour de flamme pour le tandem Jerome Charyn et François Boucq qui signe, 25 ans après le génialissime thriller d’espionnage Bouche du diable, un nouvel album : Little Tulip aux Éditions du Lombard. Go East young men ! Cap sur l’URSS du Petit Père des peuples, ses goulags sibériens, sa confrérie des voleurs aux tatouages incroyables.

© Boucq / Charyn / Éditions du Lombard

Le romancier américain Jerome Charyn livre un scénario picaresque dont il a le secret. Dans le New York des années 1970, Paul, un jeune tatoueur d’origine russe, virtuose du dessin, brosse aussi des portraits robots pour le NYPD. Ce dernier a fort à faire avec les agissements criminels du Bad Santa, un tueur en série qui viole et égorge ses victimes. Ces meurtres bestiaux entrent en résonance avec l’enfance sauvage de Paul qui se dévoile par flash-back.
Fils d’américains idéalistes émigrés en URSS, Paul aka Pavel est âgé de sept ans lorsque ses parents sont arrêtés et envoyés au goulag. Dans la glorieuse patrie des travailleurs socialistes, ceux qui n’était pas avec le régime étaient contre lui, mais ceux qui étaient avec lui restaient tout de même suspects, on n’est jamais trop prudent…
Pour l’enfant, cette plongée brutale dans le goulag de la Kolyma, est l’occasion de découvrir les températures polaires, les gardiens sadiques, les blanches forêts parsemées de fosses communes et le monde des criminels des camps, les vory v zakone, « voleurs dans la loi ». Caste de meurtriers endurcis, aristocrates du crime, les membres de la mafia russe vivent, tuent et meurent selon des règles strictes et cruelles. Sur leur corps, des tatouages symboliques narrent à qui sait les lires leurs exploits selon un langage codifié et secret. Fasciné, l’enfant observe, apprend et devient un fauve parmi les fauves. Mais c’est son don pour le dessin qui va faire de lui une figure clé du clan, le maître tatoueur.

La Mère Russie dépeinte par Charyn est un pays fascinant, dur, sauvage et exotique, peuplé d’ogres et de monstres. Little Tulip n’est pas qu’un thriller policier mais aussi un récit d’apprentissage. Féroce et grandguignolesque parfois il est vrai… Ainsi, la scène ou Pavel se tatoue lui-même pour la première fois avec la main tranchée de son père et le sang de son maître est assez remarquable.

Vétéran de la Grande Guerre patriotique du dessin, le Lillois François Boucq fait, une fois de plus, des merveilles (lire la chronique du western Bouncer). Ses personnages ont des trognes, animales, effrayantes, presque caricaturales et pourtant très réalistes. Son dessin précis et expressif brille comme les étoiles de verre rouge qui ornent les bulbes du Kremlin. Kharacho !

Une belle réussite, à lire d’urgence, camarades lecteurs. Les bédéphiles contrevenants, les bouquineurs ennemis du peuple et autres asociaux du Neuvième Art qui ne s’exécuteront pas seront déportés séance tenante.

Longue vie au Triangle !