lundi 25 juin 2012

Lorna : hommage en Z majeur à la série B

Parfois, de stupéfiants Objets Bédéphiliques Non Identifiés (OBNI) traversent le paysage, à 1000 lieues au dessus des productions convenues. Incontestablement, Lorna est de ceux-ci, ami lecteur. Cet album est une véritable météorite fluorescente, venue tout droit de la planète Z. Oh my God ! It's alive !!!!!!!!!!

© Éditions Glénat, 2012

En un solennel hommage aux séries B des années 1950-1960-1970, l'auteur compile avec gourmandise tous les ingrédients des films de drive-in : savants fous, virus mutagène, pieuvre géante, actrices de films X, laboratoire ultra secret, homme-tarentule, extra-terrestres affublés d'un léger problème de perception des échelles, militaires psychopathes, etc. Tout y est ! Rien ne manque, même les décors de Le Corbusier, les fausses pub de soda et les affiches de films euh... déshabillés. De quoi faire mourir de bonheur un scénariste alcoolique et sous-payé de la grande époque holywoodienne. Le tout s'entremêle en un vivifiant mélange qui (et c'est assez étonnant dit comme cela) reste fort cohérent.

Le dessin de Brüno (pas l'extravagante überstar de la Karntner Strasse, un autre) renforce son projet car il le prend à contre-pied. Là où l'on aurait pu s'attendre à un dessin ultra réaliste, il livre une sorte de ligne claire très stylisée, vivante et efficace, servie par une bichromie orangée du meilleur effet. Dessinateur (entre autres) du sympathique Commando colonial et d'une très personnelle adaptation de Jules Vernes, Nemo, Brüno me paraît définitivement être un auteur à suivre.

Alors fidèle lecteur, si des films tels que Them !, Attack of the 50 ft. woman, It came from outer space et autres Tarantula font naître le long de ton échine de coupables frissons de plaisir, alors cours lire sans plus tarder cet album de (mauvais) genre, il est pour toi !

Longue vie au Triangle !  

jeudi 21 juin 2012

Tarzan et l'île hors du temps : la recherche du temps perdu

C’est à une plongée dans les tréfonds obscurs du passé que je te convoque aujourd’hui, ami lecteur. Tel un Howard Carter des greniers oubliés, un explorateur de bibliothèques perdues dans des espaces-temps insondable, j’ai remis récemment la main sur un album enfoui sous la poussière dans les profondeurs de ma mémoire. Je veux parler de L’île hors du temps, au titre… prédestiné. Il s’agit d’un album de Tarzan dessiné par Russ Manning (1929-1981). Avec un nom pareil, personnellement, j’aurais songé à une carrière dans l’industrie pornographique. Mais non, Russ Manning s’est destiné au monde merveilleux de la bande dessinée et a construit une bonne partie de sa carrière sur le personnage de Tarzan qu’il a dessiné pendant de longues années, collaborant aux strips quotidiens ou hebdomadaires des journaux américains, aux comic books mensuels et dessinant deux albums spécialement destinés au marché européen : The Land That Time Forgot et The Pool of Time en 1974 et 1975.

© 1974 Edgar Rice Burroughs Inc.

Paru en français en 1974, L’île hors du temps a été publié par les obscures Éditions Williams. Sans être un grand fanatique du travail de Manning sur Tarzan, que je trouve un peu trop classique à mon goût, force est de constater que L’île hors du temps tient du joyau. La trame de l’histoire est sans surprise : Tarzan est engagé par un jeune gandin pour retrouver sa fiancée, disparue sur une île isolée au large de l’Amérique du Sud. Mais là où le récit est susceptible d’éveiller l’intérêt de n’importe quel gamin normalement constitué, c’est que cette île isolée est vraiment très isolée, et ce depuis fort, fort longtemps. Si longtemps que l’évolution n’y a pas suivi son cours normal : dinosaures et autres créatures des âges farouches y folâtrent toujours en liberté, tandis qu’une peuplade de néandertaliens y affronte un autre peuple plus évolué. Dinosaures + peuplades exotiques s’écharpant gaiement + poupée superbement carrossée = la recette d’une série B d’aventure acidulée et vivifiante propre à faire rêver le jeune lecteur préadolescent que j’étais.

Net et précis, le dessin de Russ Manning s’y déploie avec une vigueur extraordinaire, qui, selon moi, ne se retrouve pas forcément dans ses autres travaux sur Tarzan, plus policés et convenus. Son Tarzan y est fin et athlétique, sans doute pour l’opposer à la sauvagerie du monde perdu. Les couleurs y sont gentiment pop, somme toute très seventies. Mais le clou de l’album est le personnage de Lya Billings, la riche héritière perdue dans cette île préhistorique. Une pseudo Jane Fonda tout droit sortie de l’An de Grâce 1974, cavalant dans la jungle vêtue de peaux de bêtes, traquée par des hommes de Néandertal prompt à manier la hache de silex et à discuter ensuite, le tout sans que sa permanente ne bouge d’un cheveu (sauf cette mèche sur le visage, oh sexy, so sexy !)… Voilà une figure qui marque, et qui, accessoirement, à valu des nuits enfiévrées à votre serviteur.

Ami lecteur, si tu es sensible à la poésie d’un passé désuet, si les couvertures criardes d’Opar la cité de sang ou Tarzan et l’étrange citadelle font naître en toi de délicieux frissons, si tu te laisses toujours émerveiller par la maladresse naïve d’un dinosaure Starlux, si tu entends encore la petite voix qui te serine le lancinant appel de la jungle, mets le cap sans plus tarder sur cette île hors du temps.

Longue vie au Triangle !

dimanche 10 juin 2012

Scalped : un bon Indien est un Indien mort

J'ai toujours bien aimé les Indiens. Évidemment, ce n'est pas le genre de confession à faire au représentant local du Ku Klux Klan, mais c'est comme ça. Leurs modes de vie, leurs noms totémiques, leurs coutumes, leur histoire m'ont toujours fasciné. C'est ainsi que j'ai découvert Scalped, le comics coup de poing de Jason Aaron et R. M. Guéra du label Vertigo de DC Comics (publié en France chez Panini comics et désormais Urban Comics). Car en effet, ami lecteur, Scalped s'apparente à un vrai coup de tomahawk en pleine face. Hoka hey ! C'est un beau jour pour mourir !

© Vertigo/DC Comics

Bienvenue à Prairie Rose, réserve indienne du South Dakota. Un petit bout de tiers monde au coeur des États-Unis d'Amérique où la consommation annuelle de bière se compte en millions de canettes, où les laboratoires clandestins de méthamphétamines fleurissent, où les querelles de voisinage se terminent à coups de fusil à pompe Ithaca M37 et où il n'est pas rare de corriger un enfant de 4 ans à l'aide d'un démonte-pneu. Misère, crasse, drogue, meurtres, alcoolisme, violence sont le lot quotidien de ce véritable terminus de la fière nation Sioux qui vit sous perfusion de l'aide sociale. C'est là que revient Dashiell Bad Horse, jeune chien fou ayant quitté la réserve voici 15 ans. En 15 ans, Bad Horse a fait du chemin : il est devenu agent du FBI. Mais il reste un jeune homme en colère, très en colère, prêt a exploser à tout instant, ou a se faire sauter le crâne avec son arme de service, c'est selon. Et voilà que son supérieur, l'inquiétant agent Nitz, l'envoie sous couverture pour mener l'enquête dans la réserve. Car Nitz veut faire tomber le chef Red Crow, ancien activiste radical du Red Power reconverti dans les affaires et, accessoirement, patron local du crime organisé. Un homme qui n'aime pas qu'on se mette en travers de sa route, impassible comme un chasseur de cerf, mais capable de tuer un prêtre à coup de Bible. Autant dire que cela va saigner !

© Vertigo/DC Comics

Scalped est une BD violente, très violente : quand on ne se fusille pas à coup d'armes automatiques, on s'y scalpe allègrement, on s'y brûle à l'acide ou on s'y énuclée joyeusement. Mais cette peinture de la violence n'est pas complaisante. Elle souligne la rage de ces hommes au destin brisé, de cette nation disparue, étrangère à son propre territoire, qui a fini par retourner sa fureur contre elle-même. Au delà de l'intrigue policière, Scalped évoque la mauvaise conscience de l'Amérique à l'égard des native Indians et fait la part belle à leur histoire tragique et à leurs traditions.

© Vertigo/DC Comics

Le dessin de R.M. Guéra (un Serbe installé en Espagne) est vif et nerveux. Tout en respectant les codes du western (décors en cinémascope, gunfights, costumes de western...), il explose ses planches pour créer un effet de dynamisme trépidant. Conformément à la pratique de l'industrie américaine du comics, Guéra, s'il est le principal dessinateur de la série, n'est pas le seul à officier (un comics par mois demande un travail de Romain...). D'autres dessinateurs, tels Davide Furno ou J.-P. Leon, interviennent sur quelques numéros. Mais si j'apprécie tout particulièrement le dessin de Guéra, le changement de dessinateur n'est pas vraiment gênant. Le scénario de Jason Aaron est suffisamment riche pour ouvrir de multiples portes et il lui arrive de mettre l'intrigue principale entre parenthèses pour approfondir le caractère de tel ou tel protagoniste. On est donc loin d'une banale série policière puisque l'on plonge aussi dans les années 1970 au côté des Dog Soldiers, les activistes radicaux indiens, on suit les traces de ceux qui ont vu en rêve les Êtres du Tonnerre ou on partage les traumatismes d'enfance d'un personnage.
Et pendant que nous y sommes, une mention spéciale pour les couvertures qui sont assez fascinantes.

© Vertigo/DC Comics

Scalped est une série musclée et nerveuse, désespérée et amère, mais riche, très riche. J'espère qu'elle continuera sur sa lancée. Lis-là si tu l'ose, ami lecteur, tu ne seras pas déçu. Joss Little Eagle a parlé.

Longue vie au Triangle !

dimanche 3 juin 2012

Kraken : dans les égouts, personne ne vous entend crier

Une récente réédition en intégrale chez Drugstore m'a permis de me replonger jusqu'au cou dans la série Kraken, du scénariste espagnol Antonio Segura et du dessinateur Jordi Bernet (l'artiste de Torpedo). Sa publication en français fut un peu cahotique puisque la série connut trois éditeurs qui, successivement, passèrent l'éponge : Gilou, Les Humanoïdes associés et Soleil. Mais franchement, ami lecteur, cette pépite ibérique extraite d'un ruisseau boueux vaut le détour ! Hombre !

© 1987 Les Humanoïdes associés/© 1987 Selecciones illustradas

L'action se déroule à Metropol, cité tentaculaire, sorte de croisement entre New York, la néo-Babel, et la Metropolis de Fritz Lang. Sous cette ville pourrie et corrompue, capitale du vice et du crime, s'étend un deuxième monde : les égouts. Et forcément, la crasse et la fange de la surface achève sa course dans cette Cloaca Maxima moderne. C'est là qu'intervient notre héros : le lieutenant Dante, officier du GAS, le Groupe d'action souterraine, chargé de maintenir un semblant d'ordre dans cette inframonde où se côtoient gueux en rupture de ban, truands vicieux cherchant à planquer leur butin, orpailleurs d'immondices, soldats prolétaires nécrophiles rescapés de la Guerre des cloaques et j'en passe. Comme son illustre homonyme, Dante arpente les canaux des 9 cercles de cet enfer souterrain, au fil desquels passent foetus abandonnés, têtes coupées et myriades de rats. Mais surtout, il traque l'insaisissable Kraken, créature chtonienne légendaire, véritable incarnation du mal, se nourrissant du vice et de la pourriture de Metropol.

© 1988 Les Humanoïdes associés/© 1984-1987 Selecciones illustradas

Contrairement aux albums parus dans les années 1980, cette version est en noir et blanc. Et cela rend parfaitement justice au dessin de Bernet. Compte tenu de son sujet, le noir et blanc permet de retranscrire à la perfection l'atmosphère oppressante des conduites souterraines et des canaux crasseux. Il met aussi en relief les personnages, que Bernet dessine comme un Dieu : Dante et sa gueule de desperado revenu de tout, les femmes à la plastique irréprochable (pour ce qui est de la vertu, c'est un peu moins cela...). Par ailleurs, inspiration baroque et latino oblige, une extraordinaire galerie de personnages hauts en couleur se déploie sous nos yeux : génie du crime nain, truand à face de rat, grand-mère maniant le colt, prêtre exorciste pour le moins inquiétant, SDF délicieusement prénommé Miasmes...

Une grande série B à l'univers noir, très noir, et au ton désespéré, très désespéré. Et une bien belle réédition pour rendre hommage à Segura, disparu en janvier 2012.

Longue vie au Triangle !