Blast :
n. m., mot angl. : phénomène qui explique l’ensemble des lésions
anatomiques et des syndromes cliniques présentés par un organisme vivant exposé
à une modification brutale du niveau de pression consécutive à une explosion.
C’est en substance l’effet que produit la lecture de la BD de Manu Larcenet sur l’organisme. Lire Blast, c’est s’exposer à une onde de
choc qui secoue le bédéphile, le remue au plus profond, et ce pour longtemps.
Kaboom !
© Dargaud
Le
personnage principal de ce roman graphique est l’impressionnant Polza (pour POmni Leninskie ZAvety,
« souviens-toi des préceptes de Lénine », le genre de prénom qui
connote…). Polza est tout simplement énorme, une carcasse phénoménale d’un bon
quintal de barbaque et de graisse. Lorsque le récit commence, il est en garde à
vue, pour « ce qu’il a fait à Carole », une affaire dont les détails
nous sont révélés par bribes, au fur et à mesure de la narration, par
flash-back lors de ses entretiens avec les deux inspecteurs qui le cuisinent. L’enquête
dévoile l’histoire de ce clochard philosophe et névrosé, moderne Robinson
échoué sur un îlot de solitude, perdu au milieu de la foule.
© Dargaud
Entre Céline pour la description de l’humaine
misère et Harry Crews pour l’univers
des freaks, Manu Larcenet nous plonge dans le monde des paumés, des punks à
chiens, des SDF, des clochards, des marginaux, des démolis par la vie, cour des
miracles aux marges de la société.
Le
personnage principal est à la fois insupportable, voire écœurant, inquiétant
parfois, et en même temps profondément touchant. Polza est en quête du « blast »,
sorte d’ivresse métaphysique altérant la perception du monde. Son désir de
retrouver l’animalité de l’homme, sa sauvagerie primitive, en phase avec la
nature et loin de la civilisation, résonne étonnamment. Quant au désespoir qui
émane de Polza, il est proprement bouleversant. Comment ne pas éprouver de la
pitié pour un homme capable de se lacérer le ventre à coups de cutter ?
Dure,
âpre, cette BD est parfois éprouvante. Il arrive que les frères humains se
montrent abominables : une rencontre avec des inconnus de passage peut
s’achever par un viol collectif avec tabassage en règle, assorti d’actes de
barbarie. « L’homme est un loup pour l’homme », écrivait le
philosophe romain sur son cartable US quand il était petit…
© Dargaud
Visuellement,
Blast constitue un second choc. Les
personnages de Manu Larcenet font
penser aux caricatures de Daumier,
avec des trognes marquées, quasi animales. L’encrage appuyé rend toute la
noirceur de l’épopée de Polza, véritable voyage au bout de la nuit. De temps à
autre, des touches de couleur illuminent les planches, notamment pour les
expériences de « blast » de Polza, retranscrites de façon pour le
moins originale par des dessins d’enfants. L’ensemble est tout simplement
magnifique.
Cette
BD magistrale se déploie sur 3 tomes : Grasse
carcasse (2009), L’Apocalypse selon
saint Jacky (2011) et La Tête la
première (2012). Un quatrième est prévu pour clore le récit. Soit 600 pages bien tassées (800
à terme), à haute densité, qui frappent le lecteur de plein fouet, lui déchirent l’amygdale du
cerveau et chahutent ses mirettes.
Longue
vie au Triangle !
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