mercredi 20 février 2013

Comtesse : rêveuse aristocratie


Délicieux petit album érotique, Comtesse d’Aude Picault se situe dans la tradition des romans libertins du XVIIIe siècle. Plaisante invitation à la philosophie dans le boudoir, cette BD est une fort agréable surprise.

© Requins Marteaux, 2010

Publiée par Les Requins Marteaux dans une collection élégamment baptisée BD Cul, cet album pourrait de prime abord laisser craindre le pire. En effet, en créant cette collection érotique au nom si primesautier, la joyeuse bande d’olibrius des Requins marteaux entendait rendre un ardent hommage aux BD érotiques de gare au format de poche, destinées notamment à un public de militaires en permission, à l’humour le plus souvent graveleux et aussi léger qu’un char Leclerc. Disons que les facéties de nos joyeux compères se limitent à la couverture et aux gardes intérieures de l’ouvrage, finement agrémentées de fausses publicités pour les lunettes Sexmax ou le Neptunia. Reste que le contraste entre cet humour potache et le dessin élégant de la demoiselle fait sourire. Et même ton serviteur, ami lecteur, moi qui trouve d’habitude aussi inconvenant de mélanger érotisme et humour que de passer Crève salope ! de Métal urbain à un enterrement. Il est vrai que dans ce domaine, les goûts et les couleurs…

Abstraction faite de la couverture donc, Comtesse est un fort joli album. J’avais déjà beaucoup aimé Papa, bouleversant petit ouvrage d’Aude Picault évoquant le suicide de son père, publié par L’Association. C’est donc avec curiosité que j’ai lu ce court opuscule tout en dessin, sans bulle ni texte. En quelques 100 pages en noir et blanc, l’auteur narre les journées d’une jeune et jolie comtesse, délaissée par son austère mari, plutôt amateur de joutes viriles (le bougre !). Esseulée, la belle aristocrate se laisse aller à de bien peu innocentes rêveries qui lui incendient les sens. Mais fort heureusement pour elle, son fidèle valet est prêt à se plier en quatre pour satisfaire les désirs de sa maîtresse. Plus inspiré par les toiles gentiment licencieuses de Fragonnard (je pense nomment au tableau Le Feu aux poudres, tout un programme) que par les gamahuchades endiablées du divin marquis, la BD déploie une succession de dessins raffinés dans le superbe décor d’un château Louis XV. Je te l’accorde, ami lecteur, parler du décor alors que l’on évoque un ouvrage érotique tient de la perversion pathologique. Mais sincèrement, je te l’assure, le soin apporté audit décor est vraiment exceptionnel. Le découpage des scènes, par exemple celles ou la comtesse arpente les couloirs de sa demeure, est génial. Dans d’autres planches, plus enflammées mais tout aussi décoratives, le trait de la dessinatrice se fond dans le blanc de la page de manière remarquable. Et que dire de l’air mutin de la comtesse esquissé en quelques coups de crayon ?

Gracieux et délicat, ce petit livre est un régal pour l’œil. Pourquoi s’en priver ?

Longue vie au Triangle !

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