lundi 1 octobre 2012

Bab el-Mandeb : la leçon de style du signore Micheluzzi


Les éditions Mosquito, sympathique petit éditeur indépendant, ont courageusement entrepris de rééditer de grands auteurs de l’école italienne (Toppi, Battaglia, Micheluzzi). C’est l’occasion rêvée, ami lecteur, de relire ou de découvrir un superbe auteur : l’élégant, nerveux et un peu blasé Attilio Micheluzzi.

© G. Micheluzzi/©Dauphylactère

Architecte de formation (et donc forcément dessinateur), venu sur le tard à la bande dessinée, Attilio Micheluzzi (1930-1990) est un auteur un peu injustement oublié. Certes, il est mort, ceci pouvant peut-être expliquer cela. Il est aussi, sans doute, un peu écrasé par l’ombre de l’immense Hugo Pratt, son compatriote. Comme lui, ses albums évoquent l’aventure avec un grand A, les contrées exotiques et les périodes historiques riches en bouleversements. Mais là où le trait de Pratt est épais et vif, celui de Micheluzzi est fin, raffiné et précis. Le chic italien sans doute… Il est à noter que Mosquito a eu la judicieuse idée de republier Bab el-Mandeb en une belle édition noir et blanc, magnifiant le dessin de l’auteur, qui diffère donc de l’édition couleur publiée par Casterman en 1988.

 © Casterman, 1988

L’histoire se déroule en 1935, entre l’Égypte et la Corne de l’Afrique. Craignant les visées expansionnistes de l’Italie fasciste, l’Éthiopie tente de se procurer de l’armement moderne. Mais, la SDN ayant décrété un embargo sur les armes, il lui faut agir en sous-main, voire illégalement. C’est ici qu’entrent en scène nos héros : Peter Cushing, officier britannique stationné à Alexandrie ayant contracté de malheureuses dettes de jeu ; Libertario Miccoli, anarchiste italien ayant la fâcheuse habitude d’ouvrir sa grande gueule ; Kekmat Fahmi, danseuse orientale aux formes voluptueuses et au coup de hanche légendaire, accessoirement maîtresse du bouillant Miccoli ; et enfin Lilian Woodham-Kelly, aristocrate anglaise italophile rejoignant cette aventure à la suite d’une marche-arrière malencontreuse. Pour de bonnes et moins bonnes raisons nos quatre héros acceptent de voler et convoyer discrètement deux automitrailleuses Rolls-Royce (ni plus ni moins) jusqu’en Éthiopie pour le compte de sa majesté l’empereur Hailé Selassié Ier, roi des rois d’Éthiopie, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Juda, lumière du monde, élu de Dieu (il n'y a pas à dire, cela en jette !).
Au cours de leur périple mouvementé dans la Corne de l’Afrique au bord de la guerre, nos quatre héros croiseront différents espions grenouillant dans l’Égypte d’alors, des matelots arabo-maltais peu scrupuleux, des bandits somalis âpres au gain, des marins britanniques doigt sur la couture du pantalon, des aviateurs français chevaleresques, des ascaris italiens, des guerriers éthiopiens prompt à châtrer les ennemis tombés entre leurs mains et j’en passe (on évoque même Henri de Monfreid au détour d’une conversation). C’est épique, c’est exotique, c'est beau comme un film hollywoodien, c’est formidable.

Mais outre son dessin magnifique et son histoire haletante, ce qui fait tout le sel de cet album, c’est l’écriture de Micheluzzi. Tel un narrateur ou un journaliste ayant enquêté sur les événements qu’il relate, il commente d’un ton pince-sans-rire l’aventure qu’il raconte avec ironie, cynisme et recul. Et son dessin appuie cela en faisant parfois des ellipses ou des commentaires graphiques qui renforcent cette distanciation. Il arrive ainsi à l’auteur d’insérer de petits culs-de-lampe typographiques qui lui permettent de clore une planche sur une note sarcastique. Par ailleurs, renforçant son dessin élégant, Micheluzzi réalise un travail intéressant sur les onomatopées qui habitent vraiment les cases, pour rendre compte visuellement de l’environnement sonore. Comme dirait l'autre : « Si non è vero, è bene trovato ».

Ami lecteur, que tu sois amoureux de l’aventure, du noir et blanc ou tout simplement du style, cette improbable expédition dans les contrées de la « Porte des Larmes » est pour toi.

Longue vie au Triangle !

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