dimanche 3 juin 2012

Kraken : dans les égouts, personne ne vous entend crier

Une récente réédition en intégrale chez Drugstore m'a permis de me replonger jusqu'au cou dans la série Kraken, du scénariste espagnol Antonio Segura et du dessinateur Jordi Bernet (l'artiste de Torpedo). Sa publication en français fut un peu cahotique puisque la série connut trois éditeurs qui, successivement, passèrent l'éponge : Gilou, Les Humanoïdes associés et Soleil. Mais franchement, ami lecteur, cette pépite ibérique extraite d'un ruisseau boueux vaut le détour ! Hombre !

© 1987 Les Humanoïdes associés/© 1987 Selecciones illustradas

L'action se déroule à Metropol, cité tentaculaire, sorte de croisement entre New York, la néo-Babel, et la Metropolis de Fritz Lang. Sous cette ville pourrie et corrompue, capitale du vice et du crime, s'étend un deuxième monde : les égouts. Et forcément, la crasse et la fange de la surface achève sa course dans cette Cloaca Maxima moderne. C'est là qu'intervient notre héros : le lieutenant Dante, officier du GAS, le Groupe d'action souterraine, chargé de maintenir un semblant d'ordre dans cette inframonde où se côtoient gueux en rupture de ban, truands vicieux cherchant à planquer leur butin, orpailleurs d'immondices, soldats prolétaires nécrophiles rescapés de la Guerre des cloaques et j'en passe. Comme son illustre homonyme, Dante arpente les canaux des 9 cercles de cet enfer souterrain, au fil desquels passent foetus abandonnés, têtes coupées et myriades de rats. Mais surtout, il traque l'insaisissable Kraken, créature chtonienne légendaire, véritable incarnation du mal, se nourrissant du vice et de la pourriture de Metropol.

© 1988 Les Humanoïdes associés/© 1984-1987 Selecciones illustradas

Contrairement aux albums parus dans les années 1980, cette version est en noir et blanc. Et cela rend parfaitement justice au dessin de Bernet. Compte tenu de son sujet, le noir et blanc permet de retranscrire à la perfection l'atmosphère oppressante des conduites souterraines et des canaux crasseux. Il met aussi en relief les personnages, que Bernet dessine comme un Dieu : Dante et sa gueule de desperado revenu de tout, les femmes à la plastique irréprochable (pour ce qui est de la vertu, c'est un peu moins cela...). Par ailleurs, inspiration baroque et latino oblige, une extraordinaire galerie de personnages hauts en couleur se déploie sous nos yeux : génie du crime nain, truand à face de rat, grand-mère maniant le colt, prêtre exorciste pour le moins inquiétant, SDF délicieusement prénommé Miasmes...

Une grande série B à l'univers noir, très noir, et au ton désespéré, très désespéré. Et une bien belle réédition pour rendre hommage à Segura, disparu en janvier 2012.

Longue vie au Triangle !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire